Cet extrait, situé au centre de l'ouvrage, après un développement sur les lascars et avant un épisode de l'enquête, porte sur une affiche publicitaire montrant des oranges.
Nous verrons en quoi l'extrait souligne l'écart existant entre l'émigré et le citadin grâce à la mise en relation de trois lieux distincts: le lieu réel et agressif du métro et de la ville; puis le lieu affectif de l'ailleurs-souvenir que l'on souhaite retrouver et enfin le lieu rêvé envahissant auquel on s‘efforce d'échapper.
[...] Ce changement typographique dénote une volonté de mimétisme par rapport aux affiches. L'auteur semble vouloir les rendre plus sensibles encore pour le lecteur. Non contentes d'envahir le paysage visuel, les affiches envahissent aussi le paysage mental puis le texte lui-même. On peut souligner le paradoxe de mots de nature ou naturel cités et situés dans le lieu le moins naturel qu'il soit : le métro. Le lieu-souvenir du Piton est mentionné dans le discours rapporté entre parenthèses, la mention de l'amulette renvoyant aux croyances et superstitions populaires. [...]
[...] La similitude est un principe destructeur pour lui en ce lieu car elle efface les moindres repères. L'emploi répété de la conjonction de coordination ou témoigne de la ressemblance entre les différentes stations. Ce lieu réel est un lieu morbide, corrompu et moribond comme l'indiquent les termes ébranlent moisissure précarité Influencé par ce lieu, le personnage agit comme un automate afin de ne pas perdre contenance Cette volonté de ne pas perdre la face, peut passer dans un premier temps pour de la fierté, mais elle se révèle rapidement être au contraire une marque d'humilité, le personnage ne doit pas se faire remarquer, il doit se fondre dans la masse sous peine d'être victime d'agressions comme ce fut le cas lors de l'épisode des coups de pieds dans la valise. [...]
[...] Par une sorte de glissement mental, le personnage se retrouve au Piton. Le lieu-souvenir fait irruption grâce et par l'entremise du lieu de rêve de l'affiche (elle-même située dans le lieu réel). La rêverie n'est toutefois pas éternelle et le mais certainement pas amorce déjà le réveil par cette rupture syntaxique. La rupture se radicalise et est encore plus marquée par le deuxième mais qui intervient après un signe de ponctuation forte. Ce mais contredit son rêve de paysage de rêve. L' «écriture maudite le renvoie brusquement au réel. [...]
[...] L'émigré a une réaction à part, comme le souligne la mise entre virgule du pronom lui dans le membre de phrase odeur d'orange [ ] dans laquelle, lui, se démène, pris au piège, coupé en deux (réel/fictif) La clef de son incapacité à échapper au piège tendu par l'affiche c'est le fait qu'il vient du Piton. Pour les parisiens cette image n'est qu'un paysage imaginaire, mais lui il croit y voir le paysage de son quotidien. L'image ne le renvoie pas à du fictif mais justement à la réalité vécue tout au long de sa vie et c'est justement ce brouillage réel/fictif qui lui fait perdre ses repères, noyés dans une nostalgie que ne peuvent éprouver les autres. L'affiche publicitaire est donc liée à la mémoire. Et la mémoire est intimement en rapport avec l'écriture. [...]
[...] Cette écriture heurte leur mémoire par ses anomalies grammaticales et pourtant elle s'impose et s'insinue partout comme l'illustre la parenthèse finale, en effet on retrouve ces milliers d'affiches depuis les chantiers jusqu'au revues luxueuses en passant par les tatouages. L'écriture est aussi présente sous la forme du morceau de papier écrit au Pition et exhibé par l'étranger, indéchiffrable par lui-même, et avec le temps, qui devient également illisible pour les Français. Ainsi la lecture laisse place à un décodage savant nécessitant toutes les capacités de la mémoire. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture