À quoi pense la littérature ? est une œuvre de Pierre Macherey, parue en 1990 ; elle a pour sous-titre « exercices de philosophie littéraire ». Il s'agit pour Macherey de dégager la philosophie littéraire que propose un certain nombre d'œuvres qu'il étudie, selon le postulat suivant : les textes rassemblés sont susceptibles, puisqu'ils appartiennent au champ historique de la « littérature », de lectures philosophiques, dans lesquelles la philosophie intervient, de manière non exclusive, comme système de référence et comme instrument d'analyse. Faire une lecture philosophique d'un texte ne se réduit pas, pour Macherey, à proposer une même interprétation philosophique à des œuvres très différentes ; au contraire, la lecture philosophique d'une œuvre est, pourrait-on dire, coextensive à cette œuvre singulière, du moins dans son détail. Mais puisque l'auteur lui-même se propose de réaliser des « lectures philosophiques » d'œuvres littéraires diverses, pourquoi donner comme sous-titre à son essai « exercices de philosophie littéraire ». Pierre Macherey a besoin d'un concept précis, celui de philosophie littéraire, afin de repenser le rapport, qu'il estime biaisé, entre littérature et philosophie.
Le problème méthodologique que Macherey travaille tout au long de son essai est celui du rapport entre philosophie et littérature. La question qui se pose semble être : comment penser le rapport littérature-philosophie sans hiérarchie, ou pour le dire autrement, sans indexer l'un des deux termes sur l'autre ? Car, si cela n'était pas possible, c'est la légitimité même de l'entreprise comparatiste entre littérature et philosophie qui est mis en péril : en effet, il ne peut y avoir de comparatisme qu'entre des termes distincts et en relation.
Ma démarche sera donc de faire un compte rendu problématisé des parties théoriques de l'essai de Pierre Macherey, l'introduction et la conclusion, en suivant le fil directeur que j'ai indiqué, et de me focaliser ensuite sur la lecture qu'il fait de Raymond Roussel de Michel Foucault, parce qu'elle est la dernière œuvre étudiée par Macherey, celle qui ouvre sur la conclusion qu'il donne à ses exercices de philosophie littéraires, et qu'elle a un statut particulier au sein du corpus de textes qu'il a choisi d'étudier.
[...] II) Qu'est-ce que la philosophie littéraire ? Pierre Macherey propose un concept pour tenter de saisir un lien radical entre littérature et philosophie : la philosophie littéraire. Selon lui, il s'agit de la vocation spéculative de la littérature, qui a la valeur d'une expérience de pensée, puisqu'on ne peut penser un discours littéraire pur et un discours philosophique pur, mais seulement des discours mixtes dans lesquels les deux réseaux interfèrent, selon des modalités variables. La question est donc de savoir qu'elle est la forme de pensée qui est produit par la littérature, puisque celle-ci serait spéculative. [...]
[...] Tout comme l'opposition entre littérature et philosophie ne doit pas nécessairement être résolu, leurs connexions mutantes ne doivent pas nécessairement être fixées dans un cadre théorique, certes pratique, mais toujours insuffisant. De plus, si l'on prend au sérieux cette expression qui dit que littérature et philosophie sont au rouet alors il faudrait également parler en plus de la philosophie littéraire, et pour parodier Macherey, de littérature philosophique au sens où la philosophie tend parfois vers une exposition littéraire : on peut penser, par exemple, au mythe de Sextus à la fin de la Théodicée de Leibniz, qui appartient de plein droit à la littérature baroque, aux aphorismes et aux poèmes de Nietzsche, ou encore à l'écriture de la complexité dans l'œuvre de Foucault, pour qui la périodisation, les réseaux d'opposition, les paradoxes sont le seul mode d'exposition possible de la complexité du réseau qui s'est formé entre le pouvoir, le savoir et la vérité. [...]
[...] Cette philosophie littéraire est donc irréductible au projet singulier d'un auteur : pour reprendre l'exemple de Macherey, il serait ridicule de parler de la philosophie de Victor Hugo, bien que l'on puisse parler de la philosophie produite par ses œuvres littéraires. Ainsi, la philosophie littéraire est une philosophie sans philosophe, mais également sans philosophie au sens classique et formel, puisque c'est une pensée sans concept, sans construction d'un système spéculatif, et sans démarche démonstrative visant la recherche de la vérité, même si depuis Nietzsche on connaît l'aversion de la philosophie pour la pensée systématique et la recherche d'une vérité métaphysique. [...]
[...] Mais, cette mort, une fois connue et maîtrisée, devient légère et éclaire la réalité des choses d'une lumière nouvelle : la mort est une fonction analytique qui déplie les connexions impensées du monde. Ce qui voit, ce n'est plus l'œil vivant, mais le regard qui a vu la mort, et qui peut ouvrir l'espace des mots comme l'espace des choses. Pour Macherey, l'œuvre de Roussel nous enseigne à voir les choses du point de vue de la mort, et par conséquent nous apprend à mourir. [...]
[...] Michel Foucault prend le contre-pied total de cette interprétation en prenant au sérieux le matériau littéraire produit par Roussel. Plus qu'une vérité sur sa maladie, les œuvres de Roussel seraient le lieu d'émergence d'une vérité littéraire : l'œuvre de Roussel est porteuse d'une expérience de la pensée, qui travaille le lien fondamental qui unit la littérature et le langage. Ainsi l'inquiétude de Roussel est elle l'inquiétude du langage lui- même, un langage troué, incapable de rendre compte de la totalité, un langage vide, incapable de saisir la réalité, et un langage qui se situe dans l'interstice existant entre raison et déraison. [...]
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