Dans Le Temps Retrouvé, Marcel Proust estime que le travail de l'artiste « consiste à chercher sous de la matière, sous de l'expérience, sous des mots quelque chose de différent » et que cela représente « exactement le travail inverse de celui que, à chaque minute, quand nous vivons détourné de nous-mêmes, l'amour-propre, la passion, l'intelligence, et l'habitude aussi accomplissent en nous […] ».
Vous vous demanderez dans quelle mesure ce point de vue se trouve illustré dans A l'ombre des Jeunes Filles en Fleurs.
On a souvent dit d'A la recherche du temps perdu qu'il était le roman de la création artistique. Bien qu'il ne faille pas l'identifier aveuglément à une autobiographie de Marcel Proust, l'ouvrage raconte néanmoins le cheminement du narrateur, le conduisant à la révélation de sa vocation d'écrivain. Semé de découvertes et de désillusions, le parcours du jeune Marcel aboutit finalement dans Le Temps retrouvé à une philosophie personnelle sur le travail de l'artiste. Il « consiste à chercher sous de la matière, sous de l'expérience, sous des mots quelque chose de différent ». Marcel Proust estime également que cela représente « exactement le travail inverse de celui que, à chaque minute, quand nous vivons détournés de nous-mêmes, l'amour-propre, la passion, l'intelligence et l'habitude aussi accomplissent en nous. »
Ce point de vue est annoncé par le narrateur à un âge déjà plus avancé que dans A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs. Aussi serait-il intéressant de déceler dans quelle mesure ce point de vue y est illustré, alors que le jeune Marcel n'est pas encore sûr de sa vocation.
Les éléments d'A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs permettant d'illustrer cette vision de Marcel Proust sont en premier lieu l'exemple fourni par les artistes que le narrateur rencontre au fil du récit. D'autre part, divers autres éléments justifient le « travail inverse » du narrateur. Enfin, il pourrait être bon de voir dans quelle mesure le jeune narrateur s'inscrit lui-même déjà dans cette démarche de création artistique, qu'il ne théorisera que bien plus tard.
[...] Or, comme il l'explique page 228, son esprit avait dressé la Vierge du porche hors des reproductions qu'[il] en avait eues sous les yeux Le porche n'est au fond que de la pierre, l'église une petite vieille de pierre Le narrateur ne s'en sort pas, de même qu'il ressasse à plusieurs reprises le mot unique à propos de ces œuvres et qu'il déclare au milieu de la page 228 c'est l'église elle- même, c'est la statue elle-même, ce sont elles Le jeune Marcel ressent une grande frustration du fait de ne pouvoir y chercher [ ] quelque chose de différent Cela explique par ailleurs ses tentatives de consolation lorsqu'il pense aux églises intactes de Pont-Aven et Quimperlé. Néanmoins, le principal élément, qui est récurrent dans A l'Ombre des Jeunes Filles ne Fleurs, est l'inadéquation, le décalage entre représentation et réalité. Les exemples ne manquent pas, à commencer par l'église de Balbec, Bergotte ou la Berma. [...]
[...] D'autre part, divers autres éléments justifient le travail inverse du narrateur. Enfin, il pourrait être bon de voir dans quelle mesure le jeune narrateur s'inscrit lui-même déjà dans cette démarche de création artistique, qu'il ne théorisera que bien plus tard. Le point de vue de Marcel Proust sur le travail de l'artiste est en premier lieu illustré par le biais des artistes eux-mêmes. Les trois à avoir le plus d'influence sur le narrateur sont, dans l'ordre chronologique, la Berma, Bergotte et Elstir. [...]
[...] Toutes les représentations créées par le narrateur correspondent au fond à des conséquences de l'amour-propre, de la passion, de l'intelligence et des habitudes du narrateur. C'est-à-dire un travail inverse à celui de la création artistique. Cette inversion explique donc l'incompréhension première des œuvres présentées au narrateur, qu'il s'agisse du jeu de la Berma, du porche de Balbec ou des tableaux d'Elstir. Plus encore, cette inversion, encore fréquente dans A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs¸ participe de l'éducation du jeune Marcel, dont on peut déjà percevoir les premiers effets sur sa perception du monde. Le narrateur commence à s'inscrire lui-même dans cette démarche créative. [...]
[...] Le comportement du narrateur fait en effet apparaître l'importance du travail inverse de sa pensée, ce qui est donc bien sûr contraire à celle que devrait normalement développer un artiste mûr. Mais A l'ombre des Jeunes Filles en Fleurs n'a pas pour but de la Recherche de conserver dan l'esprit du narrateur cette image du narrateur victime de ses passions, ses habitudes et son intelligence. En effet de nombreux éléments (entre autres les arbres d'Hudimesnil ou les jeunes filles) attestent d'une évolution progressive du système de pensée du jeune Marcel. A l'ombre des Jeunes Filles en Fleurs marque la transition dans l'esprit du narrateur. [...]
[...] Ainsi, la même matinée que la représentation, M. de Norpois expose toutes les qualités de la Berma (p.29). Puis, un article de journal (page 51) dit que celle pièce a été pour la comédienne un triomphe comme en a rarement connu Enfin c'est Bergotte, page 130, qui finit de convaincre s'il en était encore besoin le jeune Marcel du génie de l'interprétation en évoquant quelques points de détail comme la scène où la Berma reste le bras levé. Aidé par ces conseils extérieurs, le narrateur prend conscience de ce jeu génial auquel il a assisté. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture