Le XVIIIe siècle a vu l'éclosion d'une littérature libertine et épistolaire dont Les Liaisons dangereuses pourraient être la quintessence. L'ambiguïté de l'œuvre - quoi qu'en dise Choderlos de Laclos dans son Introduction - se prête à maintes interprétations. Sa forme même, l'épistolaire, peut induire une lecture langagière. C'est ainsi que Seylaz évoque une mise en scène "fascinante" du "pouvoir des mots" qui aurait certes pour objectif premier "la séduction" ; mais au-delà de cette efficacité du Verbe, le critique relève une autre perspective, essentielle à ses yeux : les protagonistes utilisent des vocables qui ne recouvrent pas forcément la vérité de l'objet nommé et établissent ainsi un "rapport incertain" entre le mot et la chose. Et c'est en cela que résiderait "la première des liaisons dangereuses", le danger essentiel de la liaison : une mauvaise appropriation du langage et ses funestes conséquences. C'est ainsi qu'à la première donnée - mensonge et manipulation langagière - se rajoute une deuxième - qui en serait la cause - : tous les scripteurs sont victimes, d'une manière paradoxale, de leur propre outil, le langage ; l'arme de plume se retourne contre la main qui l'utilise.
Il convient de définir ce qu'est une "liaison" au sens du XVIIIe siècle qui a le culte des relations sociales heureuses. Baudelaire a vu le premier dans cet ouvrage un "livre de sociabilité". Les lettres prennent en effet le relais des conversations dont bourdonnent les salons ; elles sont le produit de cette société bavarde, bref un objet socialisé. Du reste, l'art - artifice ? - d'écrire fait partie de l'éducation de l'honnête homme et de la jeune fille. Par le choix d'un titre paradoxal qui relève de l'oxymore, Laclos se rapproche de Rousseau pour lequel l'être social est devenu une seconde nature, dénonçant la perversion du langage dans une société de faux-semblants dont il stigmatise les tares et les hypocrisies, asservie qu'elle est à l'apparence et au mensonge. Les "liaisons" relèvent de tous les échanges sociaux, et quoi de plus social dans cette époque hédoniste que le sentiment amoureux ?
[...] Valmont reconnaît et le mot, et la chose. Sans doute depuis le début du roman. Mais à côté de ses "principes" s'érige la "vanité" que stigmatise Madame de Merteuil, cette fine analyste de cœurs, dans la Lettre CXLV. Que reste-t-il au bout du compte de ces "entreprises réussies de la séduction Cécile s'enferme au couvent, Valmont tombe sous les coups de Danceny qui s'enfuit à Malte, la marquise part pour la Hollande, ruinée et défigurée, et Madame de Tourvel, atteinte au cœur par cinq mots meurtriers - "ce n'est pas ma faute" - se laisse mourir, folle de chagrin. [...]
[...] Ces mots au service de la séduction sont utilisés avant tout par Madame de Merteuil et Monsieur de Valmont. Citons dès l'abord deux phrases-clés, symboles de leur projet. La marquise écrit ceci au vicomte dans la Lettre XXXIII : "Il n'y a rien de si difficile en amour que d'écrire ce qu'on ne sent pas". Est soulevée ici la question de l'écriture et de sa sincérité. Car écrire, ce n'est pas dire la vérité mais créer une réalité autre et instaurer ainsi un décalage entre l'écriture et le réel, décalage conscient et voulu du jeu de mots, piège à séduire. [...]
[...] Le pouvoir des mots dans Les Liaisons dangereuses Le XVIIIe siècle a vu l'éclosion d'une littérature libertine et épistolaire dont Les Liaisons dangereuses pourraient être la quintessence. L'ambiguïté de l'œuvre - quoi qu'en dise Choderlos de Laclos dans son Introduction - se prête à maintes interprétations. Sa forme même, l'épistolaire, peut induire une lecture langagière. C'est ainsi que Seylaz évoque une mise en scène "fascinante" du "pouvoir des mots" qui aurait certes pour objectif premier "la séduction" ; mais au-delà de cette efficacité du Verbe, le critique relève une autre perspective, essentielle à ses yeux : les protagonistes utilisent des vocables qui ne recouvrent pas forcément la vérité de l'objet nommé et établissent ainsi un "rapport incertain" entre le mot et la chose. [...]
[...] Le factice ne prévaut-il pas sur le sincère ? Du reste, Valmont ne trouve-t-il pas la "campagne ennuyeuse comme le sentiment Quant à la lettre de rupture ponctuée régulièrement du fameux "ce n'est pas ma faute", elle tue définitivement l'amour, la confiance en l'autre, la confiance dans les mots ; elle tue même un être humain. Ainsi Valmont va-t-il jusqu'au bout de son "principe", sauvant son propre moi au détriment de celui d'autrui. C'est ainsi que l'on peut justifier "les entreprises réussies de la séduction" des deux libertins. [...]
[...] Lucide au départ, elle fuit le château de Madame de Rosemonde, ignorant sans doute que la liaison par lettres est un moyen de contact redoutable, dont Valmont use et abuse. Ses lettres révèlent son combat intérieur et elle ne cesse de dire son amour au moment même où elle le nie, le mensonge révélant une vérité masquée. Elle accepte l'amitié de Valmont pour mieux refuser l'amour, rusant ainsi avec elle-même : comme le libertin, elle ment aux autres et à elle-même. [...]
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