Deux personnages ressortent tout particulièrement à la lecture de ce roman épistolaire que forment Les Liaisons dangereuses : la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, deux libertins qui se livrent sans vergogne à leurs frasques, trompant et manipulant la société de cette première moitié du XVIIIè siècle français, en apparence assez prude, ainsi que leur classe de privilégiés. Tout au long de cette oeuvre, ils ne cesseront de se raconter l'un l'autre leurs exploits et leurs débauches, et les lettres qu'ils s'envoient ainsi, faute de pouvoir se rencontrer par peur d'une compromission, constituent le corps et l'essence du roman de Choderlos de Laclos (...)
[...] On trouve dans cette lettre LXXXI une défense du libertinage comme dans Dom Juan, de Molière, à travers ce goût de la liberté et de la libération. Pour ce faire, elle entreprend sur elle un véritable travail de contrôle de ses sentiments : personne ne doit avoir accès à ses pensées, rien ne doit la trahir, rien en elle ne doit dévoiler quoi que ce soit de cette unique parcelle de liberté dont elle peut jouir. Le libertinage de Merteuil n'est cependant pas un abandon lascif à l'instinct, ni une débauche animale, comme celle dont le Marquis de Sade fera plus tard la peinture dans ses romans sulfureux ; il s'agit beaucoup plus d'un libertinage réfléchi, d'un libertinage d'esprit, par lequel elle manifeste ses velléités de libération des contraintes imposées, à la fois par son sexe, sa classe, son veuvage, ou la société, mais aussi contre les lois de la nature, comme le hasard, qu'elle refuse, ou l'enfance, qu'elle méprise. [...]
[...] Le monde pour lequel elle se forme est pour elle occasion d'expérience elle n'en reçoit les informations que comme des faits à recueillir et à méditer et nomme elle-même science cette connaissance qu'elle veut acquérir. Les sots sont ici bas pour nos menus plaisirs (Le Méchant (1745), J-B Gresset) prend-elle d'ailleurs comme devise, montrant par là et d'autres citations qu'elle place dans ses lettres qu'elle est une femme cultivée, intelligente, et qu'elle est de ce fait supérieure à bon nombre d'individus, sinon à tous. [...]
[...] Or tous ces traits ont pour point commun d'être communément associés à l'image religieuse traditionnelle du diable. Cependant, son goût pour le plaisir des sens, pour ce genre de divertissements, lui a été inculqué par son mari, qui lui n'a droit qu'à quelques lignes d'existence. Enfin, le portrait moral qu'elle dresse d'elle-même dans la Lettre LXXXI lui confère son aura de religieuse du mal, du mal incarné en femme. Et en tant que femme, elle n'est pas exempte de jalousie, à défaut d'amour, envers celles que ses amants lui préfèrent : les deux hommes [Valmont et Danceny] auxquels elle s'adresse veulent bien prendre du plaisir avec elle mais chacun d'eux aime ailleurs Cette préférence est malheureusement due à son tempérament libertin qui tout en la rendant supérieure aux jeux de l'amour, la perd dans l'estime de ses amants (contrairement à Tourvel). [...]
[...] D'autres figures dans la littérature ont accédé au rang de personnages féminins diaboliques à l'instar de Lady Macbeth, chez Shakespeare (Macbeth), ou de Circé la magicienne, mais quand celles-là sont le plus souvent associées à la folie, Merteuil est pure raison. De plus, Merteuil s'en distingue en faisant le mal pour le mal (cependant, Merteuil affirme-t-elle sa liberté en faisant le mal, ou bien, en dépit de l'hypertrophie de son intelligence, est-elle soumise au mal qui agit par elle dans le but d'en tirer une réelle jouissance, égoïstement. [...]
[...] Le combat, autrefois jeu de séduction et compétition libertine, devient une lutte destructrice. Aucun des deux combattants ne remportera la victoire, puisque chacun prendra à l'autre ce qu'il a de plus précieux : l'amour et la vie pour Valmont ; la réputation, la féminité et le pouvoir pour Merteuil. A travers l'affirmation de sa singularité grâce au libertinage et à une éducation particulière, la Marquise de Merteuil finit par devenir un être artificiel, mais qui accèdera du même coup à la dimension du mythe. [...]
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