Poésie et profondeur, Jean-Pierre Richard, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud
Maint joyau dort enseveli
Dans les ténèbres et l'oubli
Bien loin des pioches et des sondes...
Baudelaire est ce bijou endormi, cet être séparé de son être, cette conscience distante d'ellemême.
Mais la distance est ambiguë (le bijou est endormi, peut se réveiller.)
Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes...
Cet épanchement constitue toujours un aveu d'être.
Pour sentir le prix et le sens de cet aveu, il faut voir la première version:
Mainte fleur épanche en secret
Son parfum doux comme un regret
Dans les solitudes profondes...
L'ordre des rimes est inversé: dans la version définitive, le regret appartient à la douceur du
parfum, il en qualifie la discrétion métaphysique. Et le secret s'intériorise, et se retrouve au sein
du monde sensible, et réclame et recule le déchiffrement, c'est en cela que s'incarne la réalité
spirituelle.
La création poétique serait une tentative pour posséder et humaniser le spirituel: il faut voir
comment l'imagination et le langage réussirent à traverser cette distance.
[...] ) Saura vous retrouver, ô féconde paresse! Infinis bercement du loisir embaumé . Chevelure» - Les Fleurs du Mal Souplesse des rythmes, jeu des sonorités (moelleux/aigu), l'alternance entre la solidité substantive et la liquidité adjective: paresse fructueuse. L'âme bercée domine son bercement: ce bercement peut s'éloigner, auquel cas l'âme immobile jouira de ce spectacle Tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement . «Anywhere out the world» - Le Spleen de Paris Baudelaire décrit ainsi: Le charme infini et mystérieux qui gît dans la contemplation d'un navire . [...]
[...] 8/10 Quelles sont les modes de ce mariage de «l'indécis» au «précis»? Sur le mode de l'apparition derrière un écran d'apparence, de brumes ou de souvenirs: C'est des beaux yeux derrière des voiles, C'est le grand jour tremblant de midi, C'est par un ciel d'automne attiédi Le bleu fouillis des claires étoiles «Art poétique» - Jadis et naguère A des moments, l'acuité l'emporte, et la sensation vague se crispe auteur d'une centre de rupture: Ô ce soleil parmi la brume qui se lève, Ô ce cri sur la mer, cette voix dans les bois «Kaléïdoscope» - Jadis et naguère La fadeur comme l'aigre-doux, est une absence de goût devenue positive et provocante: c'est un fané qui refuse de mourir. [...]
[...] Puis l'inquiétude s'intériorise, et la vie entière se voit livrée au hasard du çà et du là. La réversibilité noie les distinctions temporelles (Les déjà sont des encor / Les jamais sont des toujours / Les toujours sont des jamais / Les encor sont des déjà.) Telle est la langueur verlainienne différente de la langueur baudelairienne dont elle dérive pourtant. Celle-ci n'était qu'un assoupissement provisoire des puissances spirituelles, celle-là épuise l'être. La langueur détruit les caractéristiques individuelles. Les états de conscience verlainiens sont suspendus dans un climat de neutralité indifférente, nul, pas même Verlaine, n'en revendique la propriété (C'est l'extase langoureuse, C'est etc . [...]
[...] La poésie de Baudelaire est donc une poésie du relief. La transparence peut néanmoins facilement se tarir (L'Irrémédiable, Obsession): lieu de stérilité et de monotonie, elle est devenue vide. Paradis Artificiels: ils voient les comédiens de très loin, distinctement, les limites sont accentuées: c'est la rapsodie (contraire de l'harmonie): rien n'a de sens, tout est séparé de tout. Tout cela se passe dans le froid (qui signifie acuité et déchirure.) Pour Baudelaire, le vide est une limpidité glacée. La transparence véritable est une vide attiédi, presque vivant (voir Élevation.) Le feu flambe dans notre corps, il permet le rayonnement personnel, et les relations humaines. [...]
[...] La parfum, comme la musique, appartient au monde des mémoranda: il est de l'ordre de la suggestion. D'autres substances vivent d'un recherche d'équilibre entre transparence et opacité, expression et silence: le brouillard équivaut à la fatigue, au gaspillage de l'être. Il aime le brouillard soleils mouillés», «les ciels brouillés») car seul lui peut le permettre de parvenir au feu solaire. Le brouillard apparaît comme le lieu et le moyen d'un annonciation spirituelle: s'installe alors le cauchemars d'une solidification progressive. A la fin du Cycle de Spleen le moi «meurt sans bouger, dans d'immenses efforts» et la matière vivante n'est plus qu'un granit entouré d'une vague épouvante, assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux. [...]
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