Pierre Assouline a des yeux bleus étonnamment vifs et pourtant étonnamment doux quand son enfance au Maroc lui revient en mémoire. « C'est pendant l'enfance que tout se bâtit. C'est de cet âge d'or que j'ai la nostalgie, de ces fins de semaine à Tahiti-Plage, de l'océan, de mon immeuble, de ma rue, qui s'appelait autrefois rue Prom, et qui s'appelle maintenant Ibn Batouta ; j'ai la nostalgie du Casablanca des années 50 et 60 (...)
[...] Je n'arrivais pas à deviner si elle était simplement ridée, parcheminée même, ou plutôt couturée. Il m'avait rarement été donné d'observer un masque aussi étrange. Tant de crevasses, d'accidents, de replis, de méandres. De prime abord, ces traits composaient l'histoire d'une vie. Visiblement, elle n'avait pas été semée de fleurs. Suite à une lettre anonyme de dénonciation qu'elle fait parvenir aux autorités en 1941, les Fechner seront arrêtés puis déportés. MADAME CAVELLI Fille de Madame Armand, divorcée, elle a repris les rênes du magasin de sa mère. [...]
[...] C'est peu dire qu'il le protégeait. Il avait édifié une digue autour de sa mémoire. De temps en temps, quand le journal télévisé évoquait un procès ou un fait divers lié à l'Occupation, elle prenait l'eau. Alors François colmatait les brèches et tout rentrait dans l'ordre. Il ne tient pas à en savoir davantage sur la dénonciatrice et renonce à se venger. Nul n'aurait pu le freiner dans son grand déballage. Il voulait que je renonce à mon projet et que j'oublie pour toujours la cliente. [...]
[...] Surtout pas une biographie. Une sorte de quête à défaut d'une véritable enquête. Une conversation de quinze ans, ça vaut bien ça. J'ignore ce que j'ai bien pu lui apporter, mais je sais ce qu'il m'a donnée. Tans pis si d'aucuns n'y voient qu'un jeu trouble et pervers entre un Israélite et un collabo. Tant pis pour eux : je n'étais pas son bon Juif. Grâces lui soient rendues :(Gallimard - collection folio - Art : Essais) - Biographie de Paul Durand-Ruel (1831-1922), marchand de tableaux, grand bourgeois ultra-conservateur, monarchiste, catholique et antidreyfusard qui prit tous les risques pour défendre ces révolutionnaires que furent les premiers impressionnistes. [...]
[...] À ses larmes ensuite. À ses mots derrière les mots enfin, rue d'Arcole, quand tout en elle me hurlait : Les Juifs ne sont pas les seules victimes, j'ai trop souffert, j'ai droit à la prescription moi aussi, laissez-moi, laissez-moi Alors, alors seulement, mû par une réaction épidermique au monopole de la douleur, j'éprouvai une sourde culpabilité vis-à-vis d'elle. LE CADRE Les Archives : Seules les Archives pouvaient me fournir ce que j'espérais. Plus qu'une simple réponse, un verdict sans appel. [...]
[...] Je m'étais lancé à l'assaut de cette cathédrale de prose avec une certaine allégresse. Seize mois après, elle était intacte. Mais à l'instant de me jeter dans ses années de guerre, quelque chose d'autre était en jeu qui m'échappait encore. Un de ces infimes détails qui ne paient pas de mine mais peuvent bouleverser une vie. À force de tourner autour de ma victime, je pensais que je démonterais ses mécanismes d'écriture. Que je mettrais à nu son génie créateur. [...]
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