« Peuls » de Monénembo retrace l'histoire des Peuls nomades, peuple de l'Afrique de l'Ouest. Cette histoire est décrite à travers plusieurs générations. Des lignées entières, à partir desquelles viennent se greffer de nouvelles naissances, et à partir desquelles le récit redémarre toujours à un point de départ, sont ainsi décrites. L'histoire avance donc finalement peu, mais c'est un choix parfaitement assumé (et dans une entrevue avec Laure Stephan de Le Nouvel Afrique Asie, n°182, Monénembo le confirme ) : le but est de montrer que l'histoire se répète, qu'elle stagne, dans une sorte de chaos historique, par opposition à la mythologie et aux pratiques des anciens (magie, sorcellerie etc.). Ce que fait Monénembo, c'est qu'il met en scène la mémoire des Peuls, leur histoire. Il y a, à mon avis, deux pièges majeurs à éviter, quand on se livre à un pareil travail de romancier-historien. Premièrement, pour masquer l'aspect historique, pour tenter de se distinguer du simple manuel d'histoire, on risque de fabriquer un récit bancal. Les catégories romanesques, et les stratégies narratives, apparaissent très vite comme des « marqueurs » de fiction, qui semblent dire : « Vous voyez bien que ce n'est pas un manuel d'histoire, puisqu'il y a des dialogues, puisque le récit est polyphonique, désordonné, qu'il mêle des poèmes à des faits ». Deuxième piège à éviter : utiliser une épigraphe, une préface, un avant-propos etc. pour justifier le piège dans lequel on serait tombé. C'est un piège, parce que ce n'est pas en anticipant une critique qu'on l'annule .
Justement, une des épigraphes du livre de Monénembo est une citation de Zoé Oldenbourg : « La documentation étant à la portée du premier venu, l'écrivain est libre de s'en servir si cela lui plaît. Elle ne présente aucun intérêt en elle-même, et ne vaut que par l'interprétation qu'on lui donne. Tout roman, si objectif soit-il en apparence, est le portrait de son auteur, et n'obéit qu'aux lois de l'univers intérieur de l'écrivain ». Il faut donc s'attendre à trouver, dans le livre de Monénembo, une documentation (lettres, extraits de livres etc.) dont l'utilisation révèle la vision qu'il se fait de cette histoire, laquelle s'organise autour de cette vision. Ce n'est donc pas le matériau qui est importe mais la manière dont il l'utilise. L'auteur embrasse le réel, grâce à la littérature, pour le (re)créer. Cette façon de faire, cette manière de procéder, c'est la fiction, qui fait notamment appel aux dialogues, à une insertion plus ou moins marquée, dans le livre de Monénembo, de poèmes, proverbes, documents et aussi à un fil conducteur, on va le voir rapidement, bref, à une narration.
[...] L'auteur embrasse le réel, grâce à la littérature, pour le (re)créer. Cette façon de faire, cette manière de procéder, c'est la fiction, qui fait notamment appel aux dialogues, à une insertion plus ou moins marquée, dans le livre de Monénembo, de poèmes, proverbes, documents et aussi à un fil conducteur, on va le voir rapidement, bref, à une narration. L'utilisation de cette épigraphe pose deux questions : pourquoi utiliser le roman, pour raconter l'histoire, alors que la science historique, les manuels, et articles, sont déjà là ? [...]
[...] On pourrait penser parfois que le lien entre le Sérère et le peul a enfin trouvé sa véritable place, notamment dans les trois moments charnières que constituent les pages 11-16, 167-170, 287-288. Moments charnières parce qu'à partir d'eux on bascule dans une autre partie du livre. Mais le problème c'est que ces moments isolent cette narration-relation. Il l'isole d'abord à cause de la police : l'italique l'enferme, lui donne une tribune aussi éclatante qu'allusive, qui est noyée dans l'information. On peut par exemple lire, p : En 1621, les Hollandais s'installèrent à Gorée. Ce qui mit fin au monopole qu'exerçaient les Portugais depuis leur apparition, vers 1448. [...]
[...] J'ai eu vraiment la sensation de pénétrer dans l'univers personnel de l'auteur, c'est-à-dire dans un univers marqué par le chaos de l'histoire où les sources se mêlent pour former un magma bouillonnant et incontrôlable, répondant à sa vision du monde. Autre réussite dans ce lien entre histoire et narration : l'ambiguïté du Sérère, à l'égard du Peul. Le sérère insulte souvent le peul : infâme provocateur ; p : vos misérables chaumières ; p : horde de cabotins ! etc.), mais il lui montre parfois de l'affection : mon petit peul (p. petit chenapan (p. 218), mon petit peul (p. 331). [...]
[...] Par exemple, le premier paragraphe de la p.167 : Plus personne ne s'étonnait de voir tes bouviers en guenilles se battre au corps à corps avec des lions pour une vache déchiquetée [ ] Les Bambaras ne se tordaient plus de rire [ ] Les tribus les plus éloignées avaient fini par se familiariser avec ta silhouette famélique et tes innombrables excentricités Ces extraits sont suivis d'un poème et d'un proverbe. On ressent bien le travail littéraire, la recréation par la fiction : tous les faits historiques sont embarqués par la narration ; c'est cette fois elle qui dicte sa loi. On est dans une perspective qui justifie l'utilisation du roman comme approche crédible et différente du fait historique. Parce que c'est bien la vision du Sérère qui est appliquée à l'Histoire. Il dit : se familiariser avec ta silhouette famélique On retrouve souvent de pareils jugements, dans l'ouvrage. [...]
[...] - Fantôme ? Tu es bien prétentieux, Peul ! L'homme que tu veux là n'est rien d'autre que Yala Tchôguel, le bras droit de Doulo Demba. Fantôme, hi hi ! C'est bien la première fois que j'entends dire ça de Yala Tchôguel ! - Qui c'est, Yala Tchôguel ? Qui c'est, Doulo Demba ? - Tu vis où, toi ? Dans les nuages ou dans la profondeur des grottes ? [...]
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