Persepolis ou les enjeux communicationnels d’une bande dessinée entre deux cultures

Résumé du document

« J'ai entendu tellement d'âneries sur mon pays »
Quand on lui demande pourquoi elle a écrit Persepolis, Marjane Satrapi se souvient de ses motivations premières. Persepolis est une bande dessinée autobiographique en quatre tomes qui raconte la vie de Marji, diminutif de Marjane, de 1978 (elle avait alors huit ans) à 1994, de l'Iran à la France. Son adaptation cinématographique l'an dernier a connu un grand succès et a reçu le prix du jury du 60e Festival de Cannes. Auteur iranienne s'adressant à un public français, et plus largement occidental, dans un contexte où les polémiques et les fantasmes autour de l'Islam se confondent bien souvent, Marjane Satrapi est au cœur de nombreux enjeux communicationnels.

D'abord, Persepolis, en décrivant l'Histoire très complexe de l'Iran et le destin particulier de personnages, propose une approche assez singulière de la Révolution Islamique, du régime des Mollahs actuel, et de manière plus générale de l'islamisation d'un pays. Marjane Satrapi dit elle - même qu'elle a souhaité donner un « autre point de vue » sur les évènements iraniens. Or nous pouvons nous demander si cet « autre point de vue » n'est pas, peu à peu, devenu le seul point de vue de la majorité des lecteurs de Persepolis.

Extraits

[...] La sélection de Persepolis au Festival de Cannes a soulevé la colère de l'Iran. Jugé trop critique envers la Révolution Islamique, Persepolis a été au cœur de nombreuses accusations, le Ministère de la Culture d'Iran allant jusqu'à voir dans cette sélection un acte politique ou même anticulturel de la part du festival Nous devons donc nous demander quelle est la réalité de cette critique contre l'Iran dans Perspolis Marji, la figure d'une opposante au régime Le lecteur comprend très vite que la petite héroïne va lui présenter un tableau critique du pays dans lequel elle vit. [...]

[...] 4 Une bande dessinée plus humaniste qu'historique Quand on l'accuse d'être anti-iranienne ou d'avoir des propos islamophobes, Marjane Satrapi replace les choses dans leur contexte, Persepolis n'est pas un tract, pas un film sur l'Iran, c'est un film sur une fille qui grandit Mieux, elle défend l'aspect pro - iranien Du film qui selon elle permet aux Occidentaux d'avoir de la sympathie pour les Iraniens, de se mettre à leur place et surtout de contrer les clichés qui les entourent. Il faut donc regarder Persepolis sous un angle universel et humaniste pour bien saisir sa portée. [...]

[...] D'autre part, plus du quart de la population ( soit 18 millions d'Iraniens) vit en dessous du seuil de pauvreté. On peut lire sur un site de résistance iranienne, Satrapi a cherché à donner une image normale de la jeunesse iranienne, ainsi, personne en Occident ne soupçonne l'existence d'une jeunesse promise essentiellement à la discrimination et à l'esclavage sexuel 2 Marjane Satrapi, manipulatrice La polémique qui a entouré le Festival de Cannes l'an dernier peut être elle aussi donner lieu à une deuxième lecture. [...]

[...] La polémique qui s'en est suivie nous incite à manier avec encore plus de précisions l'identité de cette bande dessinée, tantôt décrite comme anti-iranienne, tantôt comme pro-iranienne. Persepolis, récit d'une jeunesse iranienne destiné à un public occidental 2 Une autobiographique mêlant tragédie historique et comédie familiale Marji grandit de tome en tome. On la suit de ses six ans, sous le régime du Shah, à ses vingt-quatre ans, lors de son départ pour la France, dernière scène de la bande dessinée. Elle est la fille unique d'une famille à tendance progressiste. [...]

[...] Ensuite, cette œuvre interroge la bande dessinée en tant que média. Ces quatre tomes en noir et blanc s'inscrivent dans le genre de la bande dessinée d'actualité Xavier Fauche, directeur d'une agence de communication atypique[2] qui propose aux entreprises de faire passer leur message par bulle, nous offre une certaine analyse du média BD : la BD a encore une connotation soixante-huitarde, synonyme d'accessibilité. C'est un média discontinu, un don de bribes entre lesquelles demeure un espace de liberté réservé au lecteur considéré comme co-créateur. [...]