Les frères Goncourt, dans une citation extraite de leur journal, soulignent que le personnage qui naît de l'imagination d'un bon écrivain, prend au fil des pages une consistance telle qu'il devient un être réel, effectivement présent dans la mémoire collective. Admirateurs de la manière dont Honoré de Balzac travaillait, ils auraient pu personnifier leur affirmation en citant l'inventeur de "La Comédie humaine".
Celui-ci avait pris l'habitude de corriger et d'annoter les épreuves des illustrations de ses textes réalisées par le dessinateur Gavarni, donnant ainsi autant d'indices physiques que psychologiques sur ses personnages. Pour qu'ils prennent vie et demeurent dans l'inconscient collectif comme des modèles ou des références, les personnages de roman doivent d'emblée être hors du commun. C'est le talent et l'art de l'écrivain qui président à cette alchimie.
L'exemple des personnages du Père Goriot illustrera cette affirmation qui est comme annoncée dès les premières lignes du roman, en paraphrasant Shakespeare : "Vous qui vous enfoncez dans un moelleux fauteuil en vous disant : peut-être cela va-t-il m'amuser… Ah ! sachez-le : ce drame n'est ni une fiction, ni un roman : All is true, il est si véritable, que chacun peut en reconnaître les éléments chez soi, dans son cœur peut-être."
[...] C'est du moins l'optique dans laquelle Honoré de Balzac a composé son œuvre. Cette création ex-nihilo qui fait assimiler par les frères Goncourt, l'écrivain à un dieu tout puissant, est liée à une conception spécifique du récit : le roman d'apprentissage qui décrit la maturation d'un héros. On le découvre naïf et pur, et les obstacles rencontrés dont le lecteur devient le témoin l'aident à mûrir et à devenir adulte. L'innocent du début devient résigné ou cynique. A Le roman d'apprentissage L'auteur entraîne le lecteur du Père Goriot tout au long d'une année où, à travers péripéties et évènements, se dessine la biographie morale du personnage de Rastignac. [...]
[...] La représentation du réel n'est pas une chose facile. Le personnage prend vie dans une réalité littéraire et s'échappe du livre pour devenir un personnage lieu-commun, familier de tous, même sans avoir lu le livre où il est né. L'écrivain s'apparente alors à un commentateur, une sorte de journaliste qui décrit ce qu'il voit et donne l'impression que rien n'est inventé. Le personnage, qu'il soit héros bienveillant ou victime innocente, terrible méchant ou saint homme, évoque tout ce qui vit dans l'inconscient de l'auteur. [...]
[...] Eugene de Rastignac est le héros du roman moderne. Personnage décalé il n'est pas livré à la dérision ni à la critique du lecteur. Dans le Père Goriot, l'auteur s'en sert comme d'un porte-parole qu'on trouve partout et qui est sur tous les fronts. S'il est lui aussi une caricature des mœurs du temps de Balzac, il est peint avec bienveillance car l'auteur a mis beaucoup de lui-même dans le personnage. Comme les autres créatures de Balzac, il prend peu à peu figure humaine et plus de cent ans après son invention, il est toujours présenté de la même manière.,Ce jeune aristocrate de 21 ans, ruiné, à l'esprit brillant, pur et idéaliste, qui avait un visage tout méridional, le teint blanc, des cheveux noirs, des yeux bleus séduisant, qui verse sans honte sa dernière larme de jeune homme très jeune coq sur ses ergots (il veut tuer Maxime de Trailles ou se battre avec Vautrin lorsqu'il s'estime blessé dans son amour-propre) est le délégué du romancier dans le livre qui sait tout de sa créature comme Dieu sait qui est l'homme puisqu'il l'a créé de ses mains et de sa pensée, et à son image. [...]
[...] Par la magie des mots, ce personnage, symbole des aspirations mondaines de Balzac, est devenu dans l'inconscient collectif l'archétype de l'opportuniste ambitieux. L'affirmation des Frères Goncourt est ainsi vérifiée par l'exemple de ces personnages qui peuplent le roman naturaliste jusqu'à la dernière partie du XIXe siècle et incarnent notamment les valeurs et les aspirations des nouvelles classes de la société, la bourgeoisie et le prolétariat (avec Balzac, Stendhal, Maupassant, Zola). II Une nouvelle forme de roman Les gens heureux n'ont pas d'histoire dit une chanson. [...]
[...] C'est là le secret du roman réussi. Balzac dans ses récits parvient à reproduire une vision, une sorte d'état de grâce où l'esprit devient un miroir qui reflète l'univers vivant en même temps que l'inconscient de l'auteur. Il parvient ainsi à faire vivre et nous donne à voir l'autre comme une personne vivante. L'imaginaire de l'auteur se fond dans une réalité créée par le lecteur et donne à certains de ses personnages une vie indépendante. Conclusion L'écrivain talentueux qui fait d'un personnage de fiction un symbole et un mythe de société, une référence commune et un être familier devient ainsi comme le Créateur. [...]
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