Lorsque Bernabé, Confiant et Chamoiseau, notre auteur, font paraître en 1900 leur essai, Éloge de la Créolité : l'innovation de leur pensée crée un remous aussi bien politique que littéraire. Cet essai vise en effet à promouvoir la culture créole, la richesse de ses expressions, l'originalité avec laquelle ce peuple s'est approprié la langue française, mais si les auteurs raisonnent à partir du concept de « négritude » établi par Senghor et que comme lui, ils s'insurgent contre l'assimilation des Noirs dans la culture blanche, ils jugent néanmoins le concept de négritude, passéiste. Ce qu'ils souhaitent réaliser, c'est un véritable métissage. Un métissage des langues, français et créole, des cultures littéraires aussi, de leurs modèles : un métissage qui nous amène indubitablement à mettre face à face l'oralité créole et l'écrit français. Or, si la visée de l'Éloge est bien un métissage, dans le roman ici à l'étude, Solibo Magnifique, aucun des deux ne devra donc céder sur l'autre : notre sujet, marqué par cette dualité originelle, est alors posé : comment concrétiser ce projet littéraire d'une écriture de l'oralité? Comment une œuvre littéraire, peut-elle, sur la base fondatrice de deux tiraillements identitaires, finalement en créer un nouveau ?
En accord avec la logique dualiste qui gouvernera notre étude, notre raisonnement se distinguera donc en deux lignes conductrices, à savoir l'élaboration d'une esthétique littéraire
[...] Avant même d'exister aux yeux du lecteur, dans son inconscient il est déjà mort, ce qui est significatif, comme on pourra le démontrer par la suite. Ce n'est alors qu'au tout début de la seconde partie du roman qu'est introduite son identité de conteur, avec cette formule complète : le conteur Solibo Magnifique (p25). Ceci n'est pas son véritable patronyme, que peu connaît en réalité, et finalement personne ne pourra affirmer sa véritable identité civile, comme le policier chargé de l'enquête le note : Nom de la victime (sous toutes réserves) : Prosper Bajole. [...]
[...] Solibo Solibo L'un dans l'autre donna ce que l'on sait. (P79). On notera que le nom de Magnifique lui est donné par un autre conteur, ce qui est significatif d'une reconnaissance ultime et d'une passation de rôle. Sa formation de conteur suit la formation de son nom : de déchu de la société il devient reconnu et admiré de tous. Sa formation même de conteur est révélatrice : le conte existe pour divertir et faire oublier la tristesse de sa condition, ou la venger en l'exposant, selon ; de la même manière, le processus de formation de Solibo débute par une souffrance qu'il va ensuite permuter en art, donc en une chose extrêmement positive. [...]
[...] Comprendre les marchés aux légumes. Élucider le fonctionnement des conteurs. Le conte sert également la visée politique et esthétique de rétablissement de la créolité, il va en devenir le fondement, en littérature. Le choix de le mettre en scène sous les yeux du lecteur est donc loin d'être anodin : il va s'agir d'en élucider le fonctionnement donc, en l'exposant. On en expose les règles : le conte doit être narré à l'extérieur, dans l'obscurité et l'échange avec l'auditoire n'est pas contournable. [...]
[...] Ainsi, le plurilinguisme francophone se réduit à une articulation dichotomique entre le français hexagonal d'une part, et les langues locales parlées dans les pays colonisés, de l'autre. La complexité de ces relations exerce son influence sur les productions littéraires dans le cadre de la francophonie. L'écrivain francophone est nécessairement voué à redéfinir et renégocier son rapport avec la langue d'écriture. Ainsi, choisir, rejeter ou remanier le français hexagonal en tant que langue d'écriture résulte d'un acte conscient. La particularité de l'écriture de Patrick Chamoiseau se situe dans le fait de vouloir dépasser cette vision dichotomique du monde et de la langue. [...]
[...] Dans un entretien Chamoiseau s'est exprimé le fait de ne pas introduire automatiquement de la traduction française de la parole créole, il évoque la notion de transparence : C'est écrit de telle manière que vous n'ayez pas besoin de glossaire et puis, en plus, je ne vois pas pourquoi vous pouvez tout comprendre puisque je suis un créole américain. Vous êtes français donc il n'y a aucune raison que vous puissiez comprendre tout ce qu'il y a dans ma tête et tout ce que j'exprime. Donc le désir de transparence et la pulsion de la transparence, c'est terrible et cela nous comprime. Ainsi, ne pas introduire de traduction est un choix conscient de la part de l'écrivain qui ne veut pas se soumettre à une auto-analyse pour une simple volonté de transparence. [...]
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