Ce livre est l'un des plus beaux romans du prix Nobel de littérature 1968 avec Pays de neige et Tristesse et beauté. Il décrit les tourments amoureux d'un jeune homme, Kikuji, confronté à la présence de quatre femmes : Chikako, la première maîtresse de son père décédé ; Mme Ôta, sa deuxième maîtresse et son véritable amour ; la fille de cette dernière, Fumiko ; et enfin une jeune femme mystérieuse uniquement nommée « la jeune fille au senbazuru » (du nom d'un motif japonais traditionnel qui représente l'envol d'oiseaux migrateurs, symbole de pureté).
A partir d'une trame narrative simple, Kawabata parvient à tisser des liens, des correspondances très subtiles entre ses personnages féminins, procédé nommé par les critiques littéraires « technique des personnages jumelés » : si Mme Ôta incarne la gentillesse, le charme et la beauté, Chikako représente son reflet négatif, Kawabata parvenant même à faire ressentir au lecteur du dégoût et de la répulsion. A l'inverse, Mme Ôta, Fumiko et la fille au senbazuru se répondent dans leurs attitudes et par l'effet qu'elles produisent sur Kikuji, au point de former par leur union le fantasme de la femme idéale.
[...] Pour le comprendre, il suffit de lire des romans comme Le Grondement de la montagne ou Les Belles endormies, dans lesquels la contemplation quitte la réalité pour entrer dans un onirisme parfois difficile à saisir ; on comprend alors pourquoi Kawabata est l'un des auteurs les plus difficiles à traduire en langues occidentales : non seulement il se nourrit de multiples références culturelles ancestrales (principe du sabi : goût pour les choses simples et qui portent la marque du temps ; ikebana : l'art ornemental des fleurs , qui repose sur le principe de la simplicité, rend hommage à la vie et donne lieu à une méditation mais en plus il développe la psychologie de ses personnages à partir des codes sociaux de son époque : fantasmes, interdits, pratiques de la politesse ou de la séduction Malgré tout, même un lecteur occidental peut saisir l'importance du basculement que représente la défaite de 1945. Le traumatisme de la société est vivace dans une nouvelle comme Retrouvailles (1946), et dans le roman Nuée d'oiseaux blancs (publié à partir de 1949). [...]
[...] A partir de ces rapports complexes entre tradition et modernité exposés dans le roman, il est difficile de saisir l'opinion de Kawabata : s'il considère que certains usages se sont dégradés avec le temps (l'art du thé a perdu de sa dimension philosophique pour devenir prétexte à commérages au sein de la petite société bourgeoise), il n'est pas pour autant nostalgique, voire réactionnaire ; peu porté vers la politique, il continue à célébrer le beau dans chaque détail de la nature et de l'âme humaine même au plus fort de la guerre ; et s'il se suicide en 1972, comme son ami et disciple Mishima deux ans plus tôt, il le fait alors sans revendications ni mise en scène spectaculaire. Certainement faut-il y voir une différence de caractère, mais peut-être aussi un clivage entre deux générations : celle de Kawabata, déjà mûre lorsque la guerre éclate, et celle de Mishima, née au plus fort de la propagande, qui malgré son esprit de contradiction a intériorisé et a grandi avec cette fascination naïve pour l'esprit traditionnel du Japon et la culture samouraï. [...]
[...] "Nuée d'oiseaux blancs", Kawabata Yasunari (2005) Séminaire sociologie politique des pays du Sud François CELLIER Kawabata Yasunari, Nuée d'oiseaux blancs, Paris, Albin Michel (traduit du japonais par Fujimori Bunkichi) L'un des plus beaux romans du prix Nobel de littérature 1968 avec Pays de neige et Tristesse et beauté. Il décrit les tourments amoureux d'un jeune homme, Kikuji, confronté à la présence de quatre femmes : Chikako, la première maîtresse de son père décédé ; Mme Ôta, sa deuxième maîtresse et son véritable amour ; la fille de cette dernière, Fumiko ; et enfin une jeune femme mystérieuse uniquement nommée la jeune fille au senbazuru (du nom d'un motif japonais traditionnel qui représente l'envol d'oiseaux migrateurs, symbole de pureté). [...]
[...] Cependant, les sentiments sont différents 4 ans après le début de l'occupation américaine : on perçoit une forme de syncrétisme entre les valeurs et les pratiques de l'ancien Japon et l'occidentalisation rapide qui fascine la population. Kawabata a l'intelligence de montrer ces dynamiques complexes tout en restant allusif et sans plomber son roman: ainsi, les maisons d'architecture occidentale sont évoquées en arrière-plan sans plus de détails, manière de montrer en quoi la curiosité s'est muée peu à peu en indifférence ; les fleurs à l'occidentale sont dénigrées par rapport à l'art ornemental japonais, qui lui a un sens quasi philosophique : face à l'humiliation et à la pauvreté culturelle de l'époque militaire, la longue et riche culture japonaise est un moyen de réaffirmer et de réhabiliter une société en perte de repères Les comportements eux-mêmes ont changé : l'individualisme et l'expression des sentiments sont perceptibles dans le roman par l'intermédiaire de Kikuji, choses inimaginables s'il avait été écrit du temps de la promotion de l'attitude virile et de l'esprit de corps. [...]
[...] A partir de cette trame simple, Kawabata parvient à tisser des liens, des correspondances très subtiles entre ses personnages féminins, procédé nommé par les critiques littéraires technique des personnages jumelés : si Mme Ôta incarne la gentillesse, le charme et la beauté, Chikako représente son reflet négatif, Kawabata parvenant même à faire ressentir au lecteur du dégoût et de la répulsion. A l'inverse, Mme Ôta, Fumiko et la fille au senbazuru se répondent dans leurs attitudes et par l'effet qu'elles produisent sur Kikuji, au point de former par leur union le fantasme de la femme idéale. L'intérêt de cet écrivain tient d'abord à son talent pour esquisser en quelques phrases la pureté des sentiments ou la beauté éphémère de la nature. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture