Nous autres d'Eugène Zamiatine, prend la forme d'un journal écrit par D-503, sous un Etat unique mené par le Bienfaiteur. Ce témoignage, à destination de peuples à coloniser, doit justifier la suppression de leur liberté pour les faire accéder au bonheur. Déstabilisant par bien des aspects, cet ouvrage pose les codes de la dystopie. Il théorise les bases du système totalitaire, en évoquant notamment la victoire du tout sur l'individu, la perfection rationnelle, l'accaparement de la notion de bonheur par l'Etat, et surtout le pouvoir du langage pour modeler l'homme et sa pensée, point qui m'a particulièrement intéressée et à partir duquel j'ai choisi d'axer ma réflexion.
[...] Il n'est par exemple plus question de parler des « nombres imaginaires » que l'on ne peut concevoir concrètement. La raison est définie non pas comme ce qui permet à l'homme de s'affranchir par la pensée, mais comme se consacrant à la « limitation continuelle de l'infini ». Le vocabulaire, en même temps qu'il se réduit, diminue la réalité du monde et empêche de le penser dans toute sa complexité. J'ai été particulièrement marquée par cet aspect qu'il me rappelle l'analyse du langage de Hegel dans Philosophie de l'esprit, selon lequel nous pensons dans le mot : la langue est un préalable à la pensée, et alors qu'un vocabulaire enrichi ou une connaissance d'autres langues nous permet d'étendre notre conception et notre expression du monde, sa restriction délimite artificiellement la réalité en nous rendant incapable de la dire autrement. [...]
[...] Nous autres (1920), Eugène ZAMIATINE Nous autres d'Eugène Zamiatine, prend la forme d'un journal écrit par D-503, sous un Etat unique mené par le Bienfaiteur. Ce témoignage, à destination de peuples à coloniser, doit justifier la suppression de leur liberté pour les faire accéder au bonheur. Déstabilisant par bien des aspects, cet ouvrage pose les codes de la dystopie. Il théorise les bases du système totalitaire, en évoquant notamment la victoire du tout sur l'individu, la perfection rationnelle, l'accaparement de la notion de bonheur par l'Etat, et surtout le pouvoir du langage pour modeler l'homme et sa pensée, point qui m'a particulièrement intéressée et à partir duquel j'ai choisi d'axer ma réflexion. [...]
[...] Sans point d'interrogation, comment douter ? Supprimer les outils d'énonciation des questions revient à condamner la possibilité même de percevoir un problème ou de chercher des solutions. Au sein d'une description riche de ce que pourrait être un Etat totalitaire, qui nous pousse à nous interroger sur de possibles dérives de la rationalisation scientifique, du développement des machines ou de notre conception de l'égalité, Zamiatine m'a semblée livrer justement au moyen d'une œuvre littéraire une analyse puissante du pouvoir de la langue, d'autant plus troublante au vu des débats actuels concernant de possibles réformes de l'orthographe. [...]
[...] Et au contraire, sa réapparition marque la redécouverte de l'individualité. Ainsi, à un moment particulièrement émouvant où D-503 fait l'expérience du trouble et du doute, ce qui le pousse à se détourner du groupe, il pense : « chez moi, dans ma chambre, je suis enfin seul ». La réhabilitation du « Je » et des pronoms personnels signifie la prise de conscience du sujet en tant que sujet. J'ai trouvé cette réflexion sur le langage d'autant plus intéressante et pertinente que l'auteur la met au cœur du projet politique de l'Etat unique qu'il décrit. [...]
[...] Dans cette masse de numéros où tout est calculable, y compris l'univers, le moi se confond avec le nous. Ainsi, j'ai été étonnée de repérer tout au long du livre des critiques plus ou moins explicites de la philosophie kantienne, qu'il est à mon sens possible de comprendre au regard de cette volonté de réduire l'individu à un chiffre parmi d'autres. En effet, alors que la philosophie des Lumières affirme le « Je » philosophique comme sujet de la pensée, maître de ses actions, il est ici effacé au profit du « nous » collectif, dénuant toute liberté en même temps que toute responsabilité individuelle. [...]
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