La notion de frontière peut se révéler difficile à cerner. Croyant la saisir, elle nous échappe, elle délimite des espaces ambigus et se fait créatrice de mythes : il a été notamment question de l'eau en tant que frontière dans les mythes fondateurs, dans les légendes et dans la littérature du XXe siècle. Dans la plupart des cosmogonies l'eau représente une frontière inquiétante donnant lieu à des cultes bénéfiques et maléfiques. La notion de frontière prend tout son sens lorsqu'elle est envisagée sous forme de ponts : l'inquiétude naît de ce franchissement vers l'au-delà.
Les seuils et les frontières peuvent représenter des espaces ouverts, des réceptacles ou bien au contraire des champs de forces, des lieux d'antagonismes profonds voire de luttes éternelles.
La littérature a su nous offrir de grands exemples : bien des œuvres sont celles du franchissement. L'œuvre aurevillienne, peut être définie comme une œuvre transgénérique. La frontière chez Barbey d'Aurevilly est une ligne trop nette qu'il dépasse sitôt qu'il l'a construite. Même si Umberto Eco parle d'œuvre ouverte, l'auteur des Diaboliques privilégie la notion de franchissement, en effet chaque barrière imaginée est immédiatement mise à mal et franchie.
D'autres auteurs tels que Loti, Gracq ou encore Buzatti ont abordé le thème de la frontière et de son franchissement. L'homme douanier y est défini comme « homme-frontières ».
Le Colloque international organisé les 27-28-29 mars 2003 par le Lapril (de l'université Michel de Montaigne à Bordeaux) a développé le thème des frontières et des seuils : les grandes phases de cet événement se sont articulées autour de thèmes tels que les regards croisés sur la frontière, frontières et seuils questions de limites, écrire la frontière, frontières du mot, frontières du texte, frontières : temps et expérience intime et enfin, la frontière : de l'espace au temps.
Dans Le Vieux qui lisait des romans d'amour de Luis Sépulvéda la frontière et les seuils franchis ont une triple identité : la délimitation des territoires et des communautés, le franchissement autorisé et vital, le franchissement interdit et mortel. L'auteur chilien propose une lecture originale du thème : tout en mettant en œuvre une écriture du franchissement, d'un point de vue littéraire, il aborde des notions humaines, sociales et écologiques.
[...] Cependant, cette séparation a son sens. Le fleuve offre une possibilité de franchissement ou au contraire l'interdit selon les contraintes naturelles. A chaque franchissement de la voie d'eau correspond une grande décision ou une transgression souvent dramatique. Le héros du roman, Antonio José Bolivar, voit sa vie jalonnée de franchissements de frontières ou de seuils. Chaque étape de sa vie correspond à un passage physique d'un monde à l'autre. Il est le seul personnage qui demeure entre les deux mondes. [...]
[...] Le vieux quitte le village, traverse à nouveau le seuil d'El Idilio pour se rendre dans une ville plus grande où il pourra trouver des livres. Il part à l'aventure pour trouver ce qu'il lui manque. Cette découverte liée à la lecture lui permettra de retrouver intérieurement la liberté que lui avait donnée l'Amazonie jadis. L'espace sans limite pour ce corps désormais limité se trouve dans les romans qu'il va lire. Les frontières se franchissent désormais mentalement. Les mots inconnus le font voyager à travers le monde entier. Les gondoles de Venise restent énigmatiques mais il donne à ces mots l'infini de son imagination. [...]
[...] Désormais, ils ne demeuraient plus trois ans de suite sur le même lieu avant de se déplacer pour permettre à la nature de se reformer. A chaque changement de saison, ils démontaient leurs cabanes et reprenaient les ossements de leurs morts pour s'éloigner des étrangers qui s'installaient sur les rives du Nangaritza. Les colons attirés par de nouvelles promesses d'élevage et de déboisement, se faisaient plus nombreux. Ils apportaient aussi l'alcool dépourvu de tout rituel et, par là, la dégénérescence des plus faibles. [...]
[...] cit. p.53 Op. cit. p.54 . Op. cit. p . Op. cit. p.38-39 . Op. cit. [...]
[...] L'animal devient l'objet de toutes les angoisses pour le village. En temps normal, chacun a son territoire : l'ocelote vit au cœur de la forêt tropicale, les blancs vivent dans le village, de l'autre côté du fleuve. - Supposez que quelqu'un soit surpris par la nuit sur le fleuve, il doit accoster de quel côté pour attendre le jour ? - Du côté le plus sûr. Le notre, répondit le gros. - Vous l'avez dit, Excellence. Le notre. On s'arrête toujours de ce côté- ci, parce que si on perd sa pirogue, on a encore la possibilité de revenir au village en se taillant la route à coups de machette. [...]
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