Nana, le personnage de Zola, éprouvait "une répugnance indignée contre cette littérature immonde, dont la prétention était de rendre la nature ; comme si l'on pouvait tout montrer !"
Elle "avait des opinions très arrêtés : elle voulait des œuvres tendres et nobles, des choses pour la faire rêver et lui grandir l'âme".
Dès leur parution, les œuvres naturalistes n'ont pas manqué d'être la cible de multiples reproches scandalisés et même des disciples de Zola ont fini par faire des comptes rendus assassins des œuvres du maître, refusant de « participer à une dégénérescence inavouable»: « Michel-Ange de la crotte» pour le romancier Barbey d'Aurevilly, créateur d'un « haut tas d'immondices li pour Anatole France, Zola aurait, par un « violent parti pris d'obscénité », tout juste produit dans ses Rougon Macquart «une fanfaronnade de cochonnerie », un «étalage de sensualité et de bestialité».
[...] Que l'on ne m'objecte pas que tout cela est vrai, que cela se passe ainsi. Je le sais, je suis descendu dans toutes ces misères, mais je ne veux pas qu'on les donne en spectacle. Vous n'en avez pas le droit, vous n'avez pas le droit de nudité sur la misère et sur le malheur Zola objecte son souci d'objectivité et, somme toute, d'honnêteté: les Gervaise sont légion au XIXème siècle et jeter un voile pudique sur elles, c'est censurer l'information Si l'écrivain doit s'engager - et cela Hugo ne peut le récuser s'il veut analyser, démonter, montrer avec objectivité un état de fait, il doit le faire sans manipulation et ne doit ni tricher ni occulter la réalité. [...]
[...] Comment s'étonner qu'au milieu de l'eau grasse se trouvent des mots gras eux aussi ? Tout autant que le contenu de ses œuvres, c'est sans doute le langage de Zola qui a le plus choqué ses lecteurs, scandalisés par la remise en cause de qui était considéré comme une des caractéristiques fondamentales de la littérature, de ses limites. Certes Hugo avant lui avait introduit l'argot, des mots crus dans ses romans, mais il avait respecté les codes, cantonnant ce vocabulaire vert ou ordurier aux dialogues: le narrateur s'interdisait tout débordement langagier, la dignité de l'écrivain restait sauve. [...]
[...] Cette mythologie donne un «ventre» à Paris et met en scène le combat entre l'amour et la mort dans La Bête humaine. Ces visions fantastiques et symboliques à la fois sont-elles au fond si éloignées de celles d'un Hugo et des romantiques, d'une écriture épique où la nature s'anime et où les éléments naturels semblent vibrer à l'unisson du discours d'Étienne dans Germinal, ou affronter en redoutable ennemi la Lison agonisante dans La Bête humaine ? L'œuvre de Zola se range dans la lignée de la littérature visionnaire, mais mise au service de temps nouveaux qui voient l'avènement effrayant de la technique et du progrès, du monde ouvrier et de la misère, des forces intérieures cachées - désormais débusquées - qui habitent dans l'homme, d'un monde vertigineux que les «bons sentiments» ne sauraient cerner. [...]
[...] Ce principe le conduit à une technique romanesque tout à fait différente qui effectivement fit scandale et qui touche toutes les composantes du roman: celui-ci devient, plus qu'une littérature esthétisante et onirique, une littérature presque journalistique qui montre» le monde et les hommes dans toute leur réalité, et même leur crudité. «L'heure n'a-t-elle pas sonné de tout étudier et de tout dire s'interroge Zola qui fait écho à l'affirmation de Nana. Cette transformation modifie considérablement les types de descriptions: lieux et décors, même sordides, sont «donnés à voir» le plus objectivement possible. Ce ne sont plus uniquement les beaux quartiers de Paris ou des endroits de rêve, mais aussi coin des pouilleux le faubourg, les cours grasses et puantes de /:Assommoir, où vit la propre mère de Nana. [...]
[...] Dans ce tableau, il ne semble décidément pas y avoir de place pour l'idéal, le rêve, la grandeur d'âme que Nana recherche dans la littérature. [La parole à la défense: comment l'immonde se justifie-t-il? Circonstances atténuantes et mobiles] Cependant, ce qui a pu passer pour de la provocation gratuite s'explique par bien des aspects et le projet de Zola de tout montrer» n'est pas sans circonstances atténuantes ou, mieux, sans mobiles. Devant Nana, Zola saurait sans aucun doute se justifier. A une société en pleine transformation, il faut une littérature nouvelle. [...]
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