Deux données contradictoires conduisent à interroger le rôle de la musique et de la danse dans la comédie de Beaumarchais représentée pour la première fois en 1784, Le Mariage de Figaro. D'une part, force est de constater la faible présence thématique de ces deux arts, hormis à travers quelques chansons disséminées çà et là dans la pièce. A priori, rien ne légitime donc une étude spécifique des spectacles musicaux dans Le Mariage. Pourtant, à regarder de près la postérité de l'œuvre, c'est-à-dire en rapprochant la comédie de l'opéra de Mozart et Da Ponte, Les Noces de Figaro, auquel elle a donné naissance en 1786, on ne peut s'empêcher de penser que, s'il n'y avait pas eu, chez Beaumarchais, une tentation de la musique, Mozart n'eût pas songé à transformer la pièce en opéra. Le compositeur a donc sûrement dû y déceler des qualités musicales – peut-être là où l'on ne s'y attend pas.
Aussi pourra-t-on se demander dans quelle mesure la musique et la danse, qui apparaissent brièvement et de manière désordonnée dans Le Mariage, font figures de données structurantes de l'œuvre. Voire même comment elles ordonnent la pièce et donnent sens à cette Folle Journée.
Déclarations d'amour à la chaîne, fête sociale pour la noce : la musique et la danse trouvent légitimement leur place dans Le Mariage – sous la forme quasi exclusive de chansons. Dialogues parlés alternent avec dialogues chantés comme pour suggérer que la rationalité du langage social peut être contrebalancée par un langage du cœur, de l'inconscient. La musique apparaîtrait donc comme la représentation, sur le plan du langage, de cette folie, de ce désordre qui s'empare de l'ensemble des personnages de la pièce : à la loi sociale répond la loi du désir. Derrière l'apparent tourbillon musical apparaît la vérité des êtres, vérité qui contribue à accentuer la remise en question de l'ordre social souvent étudiée chez notre auteur. Plus encore que thématiquement, c'est stylistiquement que la musique et la danse jouent un rôle décisif dans La Folle Journée : en effet, l'interaction de ces deux arts avec le genre dramatique contribue à faire de la pièce un spectacle ludique. Virtuosité et polyphonie du style, tourbillon de l'écriture : la pièce s'apparenterait peut-être à une comédie-ballet orchestrée par un Beaumarchais, maître de cérémonie.
[...] Et qu'il suit la cérémonie de l'acte IV. Non seulement, le monologue fait effet de rupture et, par contrecoup, attire l'attention sur le rythme de cette Folle Journée, mais il introduit une polyphonie extrêmement intéressante comme le fait apparaître Violaine Géraud : Ces pauses, ou plutôt ces décélérations, mettent en valeur l'accumulation de péripéties, rendent plus sensibles, par contraste, les accélérations du tempo. Leur abondance et leur rôle majeur pourraient en outre y révéler, surtout dans Le Mariage, la présence, en mineure, du pathétique, l'influence du drame dans la création comique de Beaumarchais On aurait donc une concordance savante entre un monologue, pause jouée sur le mode mineur par contraste avec la fête de l'acte V et une tonalité pathétique, mineure. [...]
[...] Comme il est familier donc ! si ce n'était pas un morveux sans conséquence (Chérubin arrache le ruban) Ah ! le ruban ! Chérubin tourne autour du grand fauteuil : Tu diras qu'il est égaré, gâté ; qu'il est perdu. Tu diras tout ce que tu voudras Suzanne tourne après lui : Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien ! . Rendez-vous le ruban ? ( ) Chérubin tourne en fuyant : Ah ! [...]
[...] Or, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que la musique et la danse investissement l'ensemble de la pièce : sur un plan psychologique tout d'abord, puisque ces deux formes d'expression permettent aux personnages de dépasser la loi sociale et d'exprimer leurs désirs inconscients ou refoulés ; sur un plan esthétique, ensuite car Beaumarchais se comporte, face à son œuvre, comme un véritable maître de ballet. Son écriture emprunte à la musique ses effets et ses rythmes ; à la danse ses mouvements et sa composition. La musique et la danse se trouvent donc déplacées sur le plan de l'écriture, ce qui contribue à créer une atmosphère de fantaisie, de folie générale. [...]
[...] ( ) Tous ensemble : Vivat ( ) Cette scène a le mérite de faire apparaître les modalités d'écriture de Beaumarchais. Figaro, on le voit bien, rebondit sans cesse, dans cette joute verbale, sur les propos de son adversaire et crée immanquablement des jeux de mots. De plus, ses attaques ne concernent que le domaine musical airs de chapelle musicien de guinguette oratorio écho brailler comme si c'était la musicalité, le rythme de cette joute qui faisait naître la fantaisie verbale. [...]
[...] Ou, pour le dire autrement, le rapport qu'entretiennent le couple avec la collectivité, le désir avec les institutions sociales Esthétique de la gaieté ou impertinence masquée ? De la gaieté avant toute chose : cette formule semble être le leitmotiv esthétique de la comédie de Beaumarchais. Or cette gaieté, qui apparaît surtout dans l'acte II, est principalement le fait du couple de valets[3]. C'est Suzanne qui, la première, donne le ton : dès la scène d'exposition, elle chantonne mon petit Fi, Fi, Figaro avant de cour[ir] ouvrir en chantant : Ah ! c'est mon Figaro ! ah ! [...]
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