La séparation entre les arts, prônée par la scolastique et par l'enseignement académique, semble bien aujourd'hui un leurre. L'art moderne, et bien avant lui l'art romantique, affirme au contraire l'absence de toute frontière entre les différents modes d'expression artistique. Littérature, peinture, théâtre, sculpture et musique ne peuvent être correctement appréhendés sans l'étude de leur degré d'interaction (qui peut aboutir dans certains cas à une fusion et donner naissance à une nouvelle forme d'art).
En effet, comment peut-on faire le départ entre les arts plastiques et les arts du langage alors qu'ils ne cessent de représenter l'un pour l'autre une inépuisable source d'inspiration? Nous nous proposons d'étudier cette problématique à travers le regard que jette Michel Butor sur le rapport entre la littérature et la peinture dans son ouvrage intitulé Les mots dans la peinture, paru en 1969.
Nous commencerons, d'abord, par définir, d'une manière générale, la relation qui s'établit entre ces deux formes de la création. Nous étudierons ensuite l'approche de l'auteur en mettant l'accent sur son originalité. Nous poserons, en dernier lieu, la question de la peinture comme un au-delà du langage.
[...] Il est à cet égard intéressant de remarquer que le discours sur la peinture est essentiellement formulé par des écrivains et des poètes. Serait-ce parce la création poétique se définit, elle-même, comme une tension perpétuelle entre le visible et l'invisible ? En effet, il s'agit non seulement pour le critique de rendre présente aux yeux du lecteur, grâce à un travail sur le verbe, une œuvre absente mais aussi d'interpréter, de déchiffrer un objet qui, paradoxalement, résiste au langage même. [...]
[...] L'auteur reprend, à sa manière, la devise d'Horace. La conception de ce dernier aboutit à la hiérarchisation de l'art pictural. Il s'agit pour les théoriciens de l'art d'affirmer la primauté des œuvres recourant à l' inventio (c'est-à-dire la peinture narrative au détriment de la peinture de paysage par exemple. Butor aborde le sujet en recourant à un jeu de mots, il déclare : on disait autrefois que les poètes peignaient avec des mots, les peintres le peuvent »[17].Ainsi, peindre avec les mots devient pour lui une réalité concrète que le tableau de Jaspers Johns intitulé Jubilé (1959) incarne à merveille. [...]
[...] Les mots sont parfois là pour pallier le manque de représentativité de l'art pictural, ils expriment ce que la peinture la plus fidèle ne peut représenter. Tel est le cas des tableaux représentant des animaux célèbres (ex : Oudry, Blanche, chienne de la meute de Louis XV Il nous est impossible en effet de distinguer un chien d'un autre, fût-il fameux. Dans le cas du portrait, l'inscription du nom, de la fonction, du titre du personnage représenté, a essentiellement pour fonction de permettre l'identification de ce dernier. [...]
[...] Les mots acquièrent ainsi dans la peinture religieuse une fonction liturgique. Les noms des saints peuvent, d'autre part, être associés à leurs emblèmes Ces derniers, comme le signale Butor, aident au déchiffrement de l'écriture conjointe Nous sommes donc en présence d'un discours redondant où une sorte d'équivalence parfaite s'établit entre les mots et les images, car l'emblème était l'essentiel et l'inscription superfétatoire, presque comme si elle n'avait été disposée que pour nous aider, nous les modernes, à mettre un nom sur ces figures (par exemple, le nom de Saint Pierre et son emblème, la clé, peuvent être coprésents dans un même tableau). [...]
[...] Ce petit corps excentré, évacué aurait-il fait renaître à nos yeux, et du premier coup d'œil le fameux mythe ? Nous en doutons fort. Le tableau de Miro Escargot, femme, fleur, étoile quant à lui, se présente comme la fusion entre l'image et le langage. Le titre, au lieu d'être inscrit à l'extérieur de l'espace pictural, fait partie intégrante du tableau. Mots et figures s'unissent, se mêlent, s'associent à mesure que notre regard parcourt l'œuvre. La présence de ces termes : escargot femme fleur et étoile sur la toile nous pousse à chercher leurs correspondants parmi les figures représentées. [...]
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