L'autobiographie est, selon Philippe Lejeune, « un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité ». Il existe beaucoup d'autobiographies, et le genre devient de plus en plus difficile à définir. Les Mots de Jean-Paul Sartre, paru en 1964, a suscité un grand débat sur son statut générique. En effet, Sartre lui-même en a parlé comme d'un roman ; des auteurs en ont parlé comme d'un essai, du fait de l'analyse critique philosophique que cette œuvre comporte ; des lecteurs y voient un pamphlet anti-bourgeois… Sartre aurait-il inventé un nouveau genre, qui s'apparenterait à l'ironie ? Ce qui ressort essentiellement de son œuvre autobiographique, c'est que Sartre s'oppose à la transfiguration poétique de l'enfance. En effet dans ce récit, il prend pour cible le mythe de l'enfance merveilleuse.
L'œuvre suscita aussi un grand effet de surprise lors de sa parution. Jean-Paul Sartre prend à contre-pied son image, qui est devenue celle d'un écrivain, ainsi que l'introspection qu'il suspecte avant tout. Il se sert alors du langage pour exprimer des idées politiques et philosophiques. Les Mots est une autobiographie pas comme les autres : démystifiant l'attendrissement qui entoure généralement les récits d'enfance, Sartre use d'une ironie impitoyable pour décrire ses souvenirs d'enfance jusqu'à l'âge de onze ans.
On peut alors se demander en quoi Les Mots de Sartre est un récit autobiographique, et quelles sont ses particularités. On étudiera alors la genèse complexe de cette œuvre, puis les caractéristiques formelles de celle-ci, et enfin les principaux thèmes abordés.
[...] L'intentionnalité est la structure même de la conscience en tant que la conscience est un mouvement pour se fuir, un mouvement hors de soi La conscience est alors comme un glissement hors de soi. Cette idée est traduite textuellement dans Les Mots par la vitesse de la phrase et les nombreuses asyndètes. La phrase a autant de mal à s'arrêter que la conscience. Dans La transcendance de l'égo (1936-37), première œuvre philosophique de Sartre, il réfléchit sur le statut du moi et de la conscience : L'ego n'est ni formellement ni matériellement dans la conscience : il est dehors, dans le monde ; c'est un être du monde, comme l'ego d'autrui. [...]
[...] Dans ces épisodes, le narrateur ne se distancie plus avec son personnage, mais s'identifie à son point de vue. L'habileté de Sartre consiste à faire évoluer au cours du livre le style des récits de fantasmes en même temps que leur contenu, afin de figurer la maturation de son personnage. Sartre ne se soucie pas de distinguer fiction et vérité, et il combine plusieurs règles de construction et d'enchainement du texte qui ne peuvent se réduire les unes aux autres. [...]
[...] Il est le raccourci des croyances du XIX° siècle : il se prenait ( ) pour Victor Hugo (p.23) et s'enflamme contre Badinguet (p.114). Il transmet ses idées à son petit-fils : Badinguet que mon grand-père m'avait appris à détester (p.148). Le regard ironique de Sartre sur son grand-père crée une distance qui nous informe le non- accord de Sartre avec les idées de feu son grand-père. Tout au long de l'œuvre, Sartre dénonce ironiquement les contradictions idéologiques d'une classe sociale, d'un groupe professionnel, d'un parti politique. [...]
[...] Ne faudrait-il d'ailleurs pas trouver un autre mot pour ce récit complexe qu'est Les Mots ? Conçu comme un adieu à la littérature le livre rencontra un succès immédiat et contribua à l'attribution du Prix Nobel en 1964, que Sartre refusa. Les Mots sont un témoignage exceptionnel du débat, voire des combats, menés par Jean-Paul Sartre (1905-1980) avec son époque, son milieu et lui-même. ( Les numéros de pages entre parenthèses font référence à Les Mots de Sartre, coll. Folio Gallimard. [...]
[...] De cette manière, Sartre essaie de se placer sur le terrain du nouveau roman et de la battre à son propre jeu. Cependant, on peut noter des limites à cette réussite de Sartre. Tout d'abord, Les Mots restent encore du côté d'un certain classicisme. Mauriac dira en 1965 que Sartre est le dernier écrivain de notre génération, plutôt que le nouveau chef de file de celle qui suit. De plus, cette œuvre garde un certain côté baroque du fait des reflets et des métaphores. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture