Pour exprimer la conscience de la continuité, Kundera commence par nous conter une anecdote sur son père musicien : à la radio retentissent les accords d'une symphonie. Les amis de son père reconnaissent immédiatement la neuvième symphonie de Beethoven. Son père lui « Cela ressemble à du Beethoven » : ne l'a pas reconnu , mais attire leur attention sur une certaine liaison harmonique que Beethoven plus jeune n'aurait jamais pu utiliser.
En art, il y a un sens, dont nous avons clairement conscience et dont nous ne pouvons pas faire abstraction à la lecture d'une œuvre, et c'est ce que Kundera nomme la conscience historique « Impossible de penser qu'Apollinaire ait écrit "Alcools" après "Calligrammes" car, si cela avait été le cas, ce serait un autre poète, son œuvre aurait un autre sens ! J'aime chaque tableau de Picasso pour lui-même, mais aussi toute l'œuvre de Picasso perçue comme un long chemin dont je connais par cœur la succession des étapes »
Un compositeur contemporain ayant écrit une sonate qui ressemblerait à celle de Beethoven, si magnifique fût-elle, prêterait à rire. La conscience historique est à tel point inhérente à notre perception de l'art que l'anachronisme (une œuvre de Beethoven datée d'aujourd'hui) serait spontanément (sans aucune hypocrisie) ressenti comme ridicule, faux, incongru voire monstrueux. Notre conscience de la continuité est si forte qu'elle intervient dans la perception de chaque œuvre d'art.
Mais, de quelle valeur esthétique peut-on parler si chaque nation, chaque période historique, chaque groupe social a ses propres goûts ? Du point de vue sociologique, l'histoire d'un art fait partie de l'histoire d'une société. Le roman est pour le chevalier de Jaucourt, ni un art, ni une histoire autonome. Cependant, si on pense à Rabelais, à Cervantes : ce n'est qu'a posteriori que la pratique de l'art du roman leur attribué le statut de romancier car leurs œuvres faisaient comprendre la raison d'être de ce nouvel art épique, elles représentaient les premières grandes valeurs romanesques et ce n'est qu'à partir du moment où on a commencé à voir dans un roman une valeur esthétique que les romans ont pu apparaître comme une histoire.
Le roman n'est plus un simple élément de l'histoire, le roman a son histoire propre ; n'est plus qu'un simple élément sociologique, à sa propre valeur, une valeur esthétique. Donc conscience de la continuité de l'histoire du roman indépendante de la conscience de la continuité de l'histoire.
[...] Comment prouver qu'un plat à barbe posé sur une tête n'est pas un casque ? La compagnie trouve un seul moyen objectif de démontrer la vérité : le vote secret. Le résultat est sans équivoque : l'objet est reconnu comme casque. Blague ontologique ! Don Quichotte est amoureux de Dulcinée. Il ne l'a vu que furtivement ou peut-être jamais. Il est amoureux, mais, comme il le dit lui-même seulement parce que les chevaliers errants sont obligés de l'être Cervantes remet en question la notion même d'amour. [...]
[...] Dans le domaine de l'art, il n'y a pas de mesures exactes. Chaque jugement esthétique est un pari personnel. L'histoire du roman se trouve ainsi dans une perpétuelle transformation à laquelle participent la compétence et l'incompétence, l'intelligence et la bêtise, et, au dessus de tout, l'oubli. La beauté d'une soudaine densité de la vie Dans les romans de Dostïevski, l'horloge ne cesse pas de donner l'heure : première phrase de l'idiot : Il était environ neuf heures du matin Jusqu'alors une grande concentration d'événements en un temps et un espace serrés ne pouvait se voir qu'au théâtre. [...]
[...] - Le concept d'aventure : avant une courageuse décision individuelle déclenchait un surprenant enchaînement d'actions. Mais K. arrive au village parce qu'une convocation lui a été envoyée par erreur. Ce n'est pas sa volonté mais une erreur administrative qui a mis en route son aventure, laquelle n'a rien à voir avec celle d'un don Quichotte ou d'un Rastignac. Dans nos vies, tout est planifié ; le seul inattendu possible est une erreur de la machine administrative avec ses conséquences imprévisibles. [...]
[...] Partout, même à l'intérieur des romans, le temps fut compté et daté. On entra dans l'époque des descriptions ( description : pitié pour l'éphémère ; sauvetage du périssable). Le Paris de Balzac : le Paris d'un moment précis, Paris tel qu'il n'était pas auparavant et tel qu'il ne sera plus. Chaque scène du roman est marquée par l'Histoire qui modèle et remodèle sans cesse le visage du monde.=> Une idée de ce qu'est le roman s'est établie alors et règnera sur l'art du roman jusqu'à Flaubert, jusqu'à Tolstoï et jusqu'à Proust ; elle voilera d'un demi-oubli les romans des siècles précédents [ ] et rendra difficile la transformation du futur roman. [...]
[...] C'est quand il était encore rare que le phénomène du bruit apparaissait dans toute son étonnante nouveauté. La portée existentielle d'un phénomène social est perceptible avec la plus grande acuité non pas au moment de son expansion mais quand il se trouve à ses débuts. la bureaucratie à l'époque de Kafka était un enfant innocent et c'est pourtant Kafka qui a découvert sa monstruosité. Si en 1920 Engelbert était encore étonné par le bruit des monstres à explosion les générations suivantes l'ont trouvé naturel. Peu à peu le bruit a remodelé l'homme. [...]
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