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Depuis la grande mutinerie de 1857 en Inde, le système traditionnel de réserves de céréales au niveau de la famille et du village avait cédé la place aux stocks commerciaux et aux rapports monétaires. Ainsi, il s'agissait d'une pénurie d'argent et de travail plutôt que de nourriture. Dans le nord-ouest de l'Inde, plus encore que dans le sud, la sécheresse fut consciemment transformée en famine : contrairement au sud, les récoltes étaient abondantes en 1874-1876. L'essentiel du surplus de la production de blé avait été exporté vers l'Angleterre via les voies de chemin de fer. Les mécanismes du marché moderne accéléraient la famine au lieu d'y remédier, comme en témoigne l'exemple du Deccan où la dépression de plus en plus sévère qui frappait le commerce mondial, en 1877, avait propagé la misère à cause de la hausse des prix et engendré le mécontentement dans tous les districts exportateurs de coton et où la privatisation des zones forestières et la substitution du coton aux légumes secs avait fortement porté atteinte à la sécurité alimentaire des populations. À la Chambre des communes, qu'ils soient libéraux ou conservateurs, tous les principaux acteurs de la scène politique étaient d'accord avec le principe suprême selon lequel l'Inde devait être gouvernée comme une réserve fiscale, pas comme une entreprise de charité. Ainsi se justifiait la politique des autorités centrales de l'Inde britannique alors sous l'égide de Lord Lytton qui, inspiré par Adam Smith, Malthus et Salisbury (ce dernier pensant que la famine était un remède salutaire à la surpopulation), était entièrement absorbé par la préparation de la cérémonie de proclamation de la reine Victoria comme Impératrice des Indes (qui fut le banquet le plus gigantesque de l'histoire mondiale !).
Alors que la sècheresse et la famine continuaient à sévir, en 1877, Sir Richard Temple, qui était devenu un instrument implacable de la politique d'austérité de Lytton, réduisit la ration destinée aux coolies à une livre de riz par jour (=le "salaire de Temple") et fit imposer un décret contre les mesures de charité privée (l'Anti-charitable Contributions Act). La plus grande manifestation de la colère indienne depuis la révolte des Cipayes commença alors en Janvier 1877 : des familles "bénéficiaires" des secours refusèrent de se diriger vers les camps de travail. Suite à ce mouvement, relayé par des journalistes comme William Digby (le principal chroniqueur de la famine), Lytton reçut l'ordre de Disraeli de laisser le champ libre aux responsables locaux pour combattre la mortalité massive, en augmentant les rations et en réduisant les charges de travail (...)
[...] Mais leur courage ne put faire face aux forces combinées des puissances impérialistes et à la campagne d'extermination menée par les troupes du Feldmarschal Von Waldersee et des autres armées étrangères. Même les missionnaires sauvés par les forces occidentales furent atterrés par l'ampleur de la cruauté. E. Dillon, dans un article de la Contemporary Review, en 1901, concluait prophétiquement : les bonnes œuvres accomplies par ces braves soldats en Chine avaient semé les graines d'une future révolution nationaliste. Le XIXe siècle brésilien s'acheva lui aussi sur la sécheresse, la famine et le génocide d'État. [...]
[...] La sécheresse revint en 1888, touchant la planète entière, et les pénuries alimentaires furent donc aggravées par les exportations. Au Brésil, on la surnomma la sécheresse des deux huit ; En Amérique du Nord, ce fut la pire crise écologique du XIXe siècle : même le grenier du monde connut alors le spectre de la faim. En Inde, elle fut discontinue jusqu'en 1891-1892. La Chine connut, elle, en 1888, des inondations (l'alternance de sécheresses et d'inondations catastrophiques correspondant à l'enchaînement d'El Niño et de La Niña). [...]
[...] La plus grande manifestation de la colère indienne depuis la révolte des Cipayes commença alors en Janvier 1877 : des familles bénéficiaires des secours refusèrent de se diriger vers les camps de travail. Suite à ce mouvement, relayé par des journalistes comme William Digby (le principal chroniqueur de la famine), Lytton reçut l'ordre de Disraeli de laisser le champ libre aux responsables locaux pour combattre la mortalité massive, en augmentant les rations et en réduisant les charges de travail. L'idée d'un fonds de garantie contre la famine fut relancée par Hamilton et Salisbury pour empêcher que les libéraux (Wedderburn, Cotton et Florence Nightingale) utilisent la tragédie indienne à des fins électorales. [...]
[...] C'était un marché d'une valeur inestimable grâce aux exportations d'opium bengali vers Canton. Les deux guerres de l'opium (1839- 1842 et 1856-1858) stimulèrent artificiellement et par des moyens coercitifs la demande chinoise, multipliant le montant des taxes à l'exportation de ce narcotique et révolutionnant ainsi l'assiette fiscale du Raj. C'est l'opium, affirme John Wong, qui a financé le coût de l'expansion impériale en Inde Quand, à partir de 1880, les Chinois commencèrent à promouvoir de façon informelle la culture de l'opium sur leur propre territoire, l'Inde britannique leur exporta du fil de coton industriel, ce qui eut un impact dévastateur sur l'artisanat textile chinois. [...]
[...] Paradoxalement, le moment de gloire de l'économie coloniale de l'Asie des moussons date de la fin de l'ère victorienne. Le pillage de l'Inde et de la Chine n'était pas indispensable pour l'essor de l'hégémonie britannique mais il a joué un rôle crucial dans le ralentissement de son déclin. La longue période de croissance hésitante ponctuée de récessions, de 1873 à 1896, fut désignée à tort par les historiens comme la Grande Dépression L'économie britannique restait liée à des produits et des technologies dépassés tandis que, derrière leurs barrières douanières, l'Allemagne et les Etats-Unis consolidaient leur hégémonie naissante. [...]
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