La quatrième de couverture nous met dans le ton : l'éditeur, lapidaire, affirme que "nous connaissons tous le célèbre tableau des Onze où est représenté le Comité de salut public". Mieux, il en nomme l'artiste, un certain François-Elie Corentin, qui aurait une place de choix dans la mythologie de l'Histoire de l'Art, par son surnom de Tiepolo de la Terreur. Ce surnom l'inscrit d'emblée dans la lignée d'artistes influents et reconnus. Il place, de même, sa production dans une période historique donnée, qui semble influer sur son travail. Pierre Michon justifie l'écriture de son roman : il avait jusqu'à lors évoqué cinq autres peintres (Goya, Watteau, Lorentino d'Arezzo, Van Gogh et Gian Domenico Desiderii), tous ayant existé. Ici, il crée un peintre de toutes pièces, qu'il réintègre dans un ensemble qu'il faut cohérent. Ainsi, le sujet "la mise en texte du tableau" ne recoupe pas seulement l'oeuvre peinte, connue sous le nom des Onze, tableau de pure fiction (...)
[...] Pour ce roman, Pierre Michon a reçu le prix du roman de l'Académie Française en 2009. Il travaillait sur cette œuvre depuis plus de quinze ans. Une citation résume efficacement la prétention de Michon : Chaque chose réelle existe plusieurs fois En effet, l'auteur dédouble le réel, comme le ferait un peintre, qui prend appui sur un objet pour le représenter sur sa toile. Michon, cependant, joue sur une écriture pleine de digressions, sans cesse fuyante puisque ce sont les récits parallèles, de l'enfance du peintre et de la journée cruciale de l'exécution, mais aussi d'un tableau imaginaire accroché au Louvre, au milieu d'autres chefs- d'œuvre, qui en appellent à d'autres œuvres, que l'écrivain ne décrit que de manière lacunaire, pour permettre au souvenir flou du lecteur d'opérer. [...]
[...] Ainsi, le sujet la mise en texte du tableau ne recoupe pas seulement l'œuvre peinte, connue sous le nom des Onze, tableau de pure fiction. L'auteur joue avec son lecteur et parvient non seulement à inventer un artiste et sa production artistique, qu'il prétend approcher scientifiquement par le biais de l'Histoire de l'Art, mais aussi à faire vivre cette peinture, qui est par essence multiplication du réel et toute aussi fausse. Avec le roman Les Onze, on peut s'interroger sur le réel et ses distorsions : Pierre Michon éclaire par le truchement d'une œuvre fictive, une période bien réelle, elle, celle de la Terreur. [...]
[...] Ce que cherche aussi à montrer Michon, qui respecte bien sûr ces artistes puisqu'il a déjà écrit sur Van Gogh et Goya, c'est l'étonnante élection d'un homme au statut de peintre, voire de légende. Peut-être est-ce aussi cela, le brio des Onze : Michon décide, tout aussi arbitrairement que peut l'être une Histoire de l'Art qui laisse Botticelli des siècles durant au placard, avant de l'élever au rang de grand représentant de la Renaissance, de faire de Corentin un artiste incontournable de l'Art, qu'il revisite cependant, non pas tant sur le mode sensationnaliste, mais par sa vie intime et son histoire, qui explique parfois et, surtout, s'oppose à des conclusions que Michon juge hâtives . [...]
[...] Le premier est marqué par un fort contraste entre le noir et le blanc et des personnages superposés et interpénétrés. Le second, aux dimensions monumentales, présente des personnages en frise sombre, dont seules les figures cléricales se détachent par leur habit rouge. La dernière nous montre des hommes réunis dans une lumineuse pénombre . Le tableau vit-il par lui-même ? : Ce texte peut nous pousser à nous poser une autre question, fille de l'art : qu'est-ce qui fait qu'un tableau vit ? [...]
[...] Par cette invention, Michon cherche à corriger l'Histoire, ce tableau ayant, selon lui, manqué au Comité pour asseoir sa légitimité. Finalement, opérant le travail d'un combleur de vide, il invente une jeunesse à Corentin, dont l'enfance fictionnelle se mêle à la grande Histoire Le romancier comme révélateur et malicieux conteur : . Le mystificateur : - Les nombreuses apostrophes : A de nombreuses reprises, Pierre Michon interpelle le lecteur avec de séduisants Monsieur et un mode injonctif, des formules autoritaires qui achèvent de soumettre le lecteur : il ne peut pas mettre en cause la parole d'un narrateur qui le flatte et de toute façon, il est censé savoir tout ce que lui assène l'écrivain, persuasion qui est d'autant plus fourbe qu'elle mêle vrai et faux. [...]
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