L'histoire de Tristan et Iseut est à considérer comme un récit paradigmatique qui décrit un ensemble de relations interpersonnelles fondamentales pour notre culture. Ceci explique en quoi la psychanalyse peut s'appliquer avec bonheur à l'étude de cette histoire : de cette manière, on pourra faire ressortir ce qui, dans le récit, dit quelque chose de ce que nous sommes, et, surtout, ce qui en est dit.
Si l'on veut passer l'histoire de Tristan et Iseut au crible de la psychanalyse, deux tendances et, donc, deux interprétations se dégagent : la perspective freudienne et la perspective jungienne. Michel Cazenave est tenant de l'approche jungienne : pour lui, ce n'est pas la séparation des amants qui constitue l'enseignement central du récit, mais au contraire leur réunion finale dans laquelle les oppositions sont levées et les contraires réconciliés. Cazenave voit ainsi dans l'histoire de Tristan et Iseut la narration d'une maturation psychique tendant vers la conjonction synthétique et la résolution in extremis de conflits archétypiques.
Ce qui est proclamé dans cette légende, c'est la subversion par l'âme du monde qui nous entoure, c'est la remise en cause radicale d'une société, d'une culture, d'une civilisation tout entière qui se bâtit sur le Père et le pouvoir de son logos. La société des hommes a bien senti le danger, et a reculé devant lui. Elle a préféré la Loi et l'interdit qui assuraient son pouvoir, à la transgression par la femme qui remettait ce pouvoir totalement en question. Mais peut-être les interdits n'existent-ils que pour que quelques âmes qui les transgressent d'autant mieux.
[...] Le roi Marc est le signe d'une immaturation psychologique (le lien qu'il établit entre la mère et la femme est de nature géographique, alors que le même lien établi par Tristan est psychique). Le processus n'est pas tant celui d'une passion singulière que la mise en drame d'un enjeu archétypique qui se manifeste en Tristan. Ce processus implique une succession de problèmes qui nous renvoient aux fils amants de la mère qu'a définis Pierre Solié: fils-amant est condamné au devenir. [...]
[...] Tristan va dorénavant être encore plus un homme de la lune dans l'affirmation de son moi. Pour lui, le roi Marc représente encore une espèce de massa confusa ou se mélangent l'ombre et le double, la persona de Tristan et le senex négatif, tout cela lié par le noyau central de l'animus négatif de la vraie mère du héros. En se soumettant entièrement au joug de l'amour, Tristan a trahi l'idéal chevaleresque: c'est le premier sacrifice, celui de sa persona, du masque social. [...]
[...] Le moi aurait donc son origine dans le double, et la conscience dans le complémentaire. Le pardon de la femme En quittant l'Irlande, Iseut acquiert son autonomie par rapport à l'île où elle a été conçue, élevée et nourrie, et permettra à cette mère de devenir enfin cette mère imaginale dont se réclamera Tristan dans sa folie. Simultanément, Iseut incarne l'anima de Tristan et est une femme réelle. L'anima de Tristan, inconsciemment suscité par l'existence d'Iseut, s'est déjà affirmée dans ses combats successifs, mais elle trouve à s'accorder dans la jeune fille qui l'appelle. [...]
[...] Il combat la perversion habituelle (le poison). Car le héros est celui qui est différent, notamment, ici, des barons qui fuient. Tristan est le héros solaire féminin. Il agit sur de tout autres motifs que les héros masculins habituels, et à fortiori que les barons qui l'entourent. Eux appliquent un code moral où la force est le critère suprême. Mais Tristan, qui pourtant est le plus fort, dédaignera ce code.C'est le code des autres qui se meuvent dans un monde que régit la Loi extérieure. [...]
[...] C'est donc une nouvelle renaissance pour Tristan (voir le souterrain d'Orri). Tristan se transforme alors en chevalier faé, il devient le Noir de la Montagne, et le couple puer - senex accompli la conjonction du jour et de la nuit, de la vie et de la mort, de la conscience et de l'inconscient. C'est désormais Tristan qui se débarrasse de ses ennemis (duc André): il n'y a plus maître et élève, mais deux figures complémentaires (blanc - noir), dans l'unité de l'archétype. [...]
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