Depuis plusieurs décennies, les Contes de Perrault ont été surtout lus selon deux approches, celle de la littérature enfantine et celle de la critique psychanalytique. La première s'est attachée à l'univers merveilleux des contes pour enfants ; la seconde, aux références sexuelles et psychanalytiques. En d'autres termes, la première a examiné la part de merveilleux ; la seconde, la part de licencieux. Mais l'on ne saurait oublier l'aspect proprement littéraire des Contes. Écrite à la fin du XVIIe siècle, l'œuvre s'inscrit dans le cadre de « la mode des contes de fées », selon l'expression de M.-E. Storer, tout autant que dans le cadre de la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes. Perrault étant l'un des chefs de file des Modernes, les Contes peuvent aussi être lus, dans une certaine mesure, comme un manifeste littéraire. Et cela notamment en ce qui concerne la dimension morale, chère aux Modernes. Perrault affiche en effet, dès la Préface aux contes en vers de 1694, une intention morale et pédagogique.
Il s'agira donc de mettre en relation les deux aspects majeurs de l'œuvre -le merveilleux et le licencieux- le plus souvent étudiés de manière séparée et de s'interroger sur les raisons de cette alliance. Alliance éminemment paradoxale entre le merveilleux, qui sollicite l'imaginaire, et le licencieux, qui fait appel à des références légères ou vraisemblables ; alliance paradoxale entre le goût populaire et le goût précieux. Les Contes, objet hybride ? Beau monstre, fruit de deux esthétiques contradictoires? Terme polyvalent, le licencieux renvoie aussi à une transgression d'ordre moral. Enfin, dans une troisième acception, il renvoie à la libération des formes esthétiques. Aussi, peut-on étudier comment le licencieux, qui ne peut s'exprimer aussi largement que grâce à l'éloignement spatio-temporel permis par le merveilleux, loin de limiter ce dernier, le déplace sur la sphère de l'écriture.
Le merveilleux se voit progressivement contaminé par le licencieux, qui donne une tonalité ludique aux Contes. Mais le licencieux étant aussi transgression, il nous faut nous interroger sur la portée morale de l'œuvre affichée dans la Préface aux contes en vers. Dépassant le simple cadre thématique, la transgression concerne aussi l'esthétique des Contes. Elle devient alors libération formelle. Dès lors, le licencieux pourrait redonner « voix » au merveilleux à travers la figure du conteur. C'est-à-dire déplacer le merveilleux au niveau de l'écriture.
[...] Faut-il plutôt parler d'hybridité, de beau monstre ? La critique a beaucoup souligné la volonté de créer un style naturel, presque une absence de style. Mais cette absence de style n'est qu'apparente, comme le met en évidence Raymonde Robert, qui évoque une simplicité si habile que les lecteurs ultérieurs s'y tromperont et prendront pour argent comptant la naïveté des textes1.» La prose permet une brièveté qui renforce le sentiment de simplicité et d'efficacité alors même que l'efficacité n'est possible que par une élaboration savante du style. [...]
[...] La pauvreté des personnages mis en scène se lit d'ailleurs dans le titre des deux contes. Ce sont les seuls qui ont recours à l'adjectif petit qui peut renvoyer à la fois à la jeunesse des protagonistes et au caractère humble de leur condition Perrault, à travers cet éloge du roi, montre ses talents de poète officiel et son souci d'être bien en cour. Cependant les fées commencèrent à faire leurs dons à la Princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle personne du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un Ange, la troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un Rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments dans la dernière perfection. [...]
[...] Il en va ainsi du festin dans Riquet : le caractère merveilleux de ce festin qui sort de terre est immédiatement désamorcé par les références aux cuisiniers de l'époque du Louis XIV et à leurs habitudes : La terre s'ouvrit dans le même temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande Cuisine pleine de Cuisiniers, de Marmitons et de toutes sortes d'Officiers nécessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente Rôtisseurs, qui allèrent se camper dans une allée du bois autour d'une table fort longue, et qui tous, la lardoire à la main, et la queue de renard sur l'oreille, se mirent à travailler en cadence autour d'une Chanson harmonieuse. (Riquet à la houppe, p.107) Du merveilleux, on passe progressivement à la description réaliste des festins des grandes maisons de l'époque de Perrault. [...]
[...] L'alliance de ces deux veines avait permis dans les contes en vers la dérision et le burlesque. A cet égard, Les Souhaits ridicules constituent un véritable exercice jubilatoire. Le merveilleux mythologique est tourné en dérision, puisqu'au nom de Jupiter sont accolés les noms de Blaise et autres Fanchon ! Burlesque, satirique, pathétique aussi (par exemple dans Grisélidis), le ton des contes est multiple et volontiers enjoué. Mais, avec leur versification très étudiée, les contes en vers restaient très proches, quoiqu'en dise Perrault, des Contes de La Fontaine: même souci de la variété, même esthétique du plaisir. [...]
[...] Quelles sont donc les valeurs proposées par le recueil ? Sans recourir à un merveilleux chrétien, hagiographique, le merveilleux des Contes permet de diffuser des valeurs chrétiennes. Les forces du bien triomphent, mettant ainsi en avant un certain nombre de valeurs chrétiennes : l'humilité, dans Cendrillon ; la pauvreté, dans Le petit poucet ; l'honnêteté et l'intériorité, dans Riquet à la houppe ; l'amabilité et la charité, dans Les Fées. Pourtant, la morale ne triomphe pas nécessairement : le chat botté est un héros rusé et fourbe. [...]
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