L'Histoire est une, et pourtant les Histoires se multiplient à l'infini. Les traces que l'Histoire a laissées dans les lieux, les archives ou les souvenirs, sont uniques et s'offrent à l'étude de tous les historiens ; pourtant, toutes les oeuvres de retranscription du passé diffèrent les unes des autres. Chaque historien a sa méthode, son prisme interprétatif, chaque historien donne libre cours à sa subjectivité, voire sa passion, ou au contraire tente de montrer la rigueur la plus froide (...)
[...] Les arguments de Mark Mazower et le style qu'il emploie sont nouveaux et convaincants, bien que certaines tendances à un pessimisme exacerbé et quelques abus se prêtent aux critiques d'un lecteur méfiant. Les thèses de l'auteur sont appuyées par des arguments nouveaux et extrêmement convaincants, parfois très proches de la sociologie et des sciences politiques. Il paraît en effet très juste que l'adoption de constitutions démocratiques modernes dans des Etats neufs, à peine viables et accusant un net retard économique, social et politique sur l'Ouest, n'est pas en elle-même un progrès éclatant de la démocratie, au contraire. [...]
[...] Les ouvrages les plus modérés rappellent que le succès du régime nazi dans les années 1930 résulte d'une pluralité de facteurs dont les principaux sont la crise économique, l'expérience trop éphémère de la démocratie dans un pays traumatisée par le Traité de Versailles et habitué à un régime autoritaire, la répression policière et le perfectionnement des techniques de propagande. L'Europe occidentale, surtout la France, aurait été déchirée entre les mouvements d'extrême-droite et la poussée du socialisme, mais serait malgré tout restée fidèle à la démocratie. Tout ceci n'est pas contesté par Mazower, mais il faut noter que l'idéologie nazie est souvent présentée comme une exception européenne, et que la Seconde Guerre mondiale fut le théâtre du combat des totalitarismes contre les démocraties, du mal contre le bien. [...]
[...] Il y substitue une analyse très sociologique, et économique, de l'Est, en insistant sur les réussites des régimes, et en relativisant la résistance supposée acharnée de la population. De même, l'étude des Trente Glorieuses en Europe occidentale reste focalisée sur la sociologie et l'économie. Dans l'ensemble, la méthode de Mark Mazower est d'une très grande originalité, mais elle conserve parfois quelques traits traditionnels. Une caractéristique essentielle de Mazower est son refus catégorique d'adopter une vision téléologique, et d'écrire une histoire événementielle. [...]
[...] Le modèle démocratique semblait dépassé à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le triomphe de l'Etat-nation est souvent considéré comme la réalisation du stade politique suprême grâce auquel la nation, enfin libérée du joug étranger, peut vivre sous ses propres lois. Les poussées nationalistes allemandes et italiennes semblent de pas avoir de lien direct avec la victoire d'après-guerre de l'Etat-nation et sont généralement présentées comme le résultat d'idéologies racistes nouvelles attirant les masses hantées par le spectre de la misère économique. [...]
[...] Le style qu'utilise Mark Mazower est volontiers familier, et son efficacité est à double-tranchant. Des expressions telles que ce vieux renard de Kadar (p288) nous font croire que l'auteur sait de qui il parle, et connaît presque personnellement ces personnages, mais elles ne sont pas d'une grande rigueur historique (on pourrait aussi citer le Conseil de l'Europe, un joujou selon Mazower). L'utilisation de témoins directs est très intéressante, mais le recours à des inconnus, comme un vieil homme (p212), est bien moins convaincant, voire faible. [...]
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