Marc Ferro, directeur des Annales à partir de 1970, est l'un des premiers historiens à s'intéresser au cinéma comme source possible de l'Histoire. Son recueil, Cinéma et Histoire, entremêle sans cesse les deux disciplines, le cinéma comme produit fini ayant une relation très riche avec l'Histoire, certes passée, mais dont la connaissance ne cesse de grandir. Conçu comme une succession d'articles, l'ouvrage se découpe en cinq grandes parties, qui cristallisent différents versants de la pensée de Ferro : Le film, document historique ; Le film, agent de l'Histoire ; Les modes d'action du langage cinématographique ; Société qui produit, société qui reçoit ; L'Histoire au cinéma. Pour des raisons évidentes de clarté, l'ouvrage se composant tout de même de vingt-trois chapitres, on a réuni de manière thématique les points marquants de l'analyse cinémato-historique de Marc Ferro, en mettant toujours l'accent sur les exemples qu'il mobilise puisqu'il s'agit bien ici de démontrer la légitimité de son entreprise.
- Le titre de l'ouvrage :
Dès la première de couverture, on est invité à s'interroger sur deux apparentes difficultés. La collection dans laquelle figure l'essai de Marc Ferro, Folio histoire, peut nous laisser croire à une Histoire du cinéma. Le titre de l'ouvrage, cependant, Cinéma et Histoire, différencie clairement ces deux domaines en proposant pourtant, par la conjonction de coordination "et", un lien entre deux matières qui ne sont dès lors pas aussi éloignées que nous le pensions au départ. L'une touche à un divertissement populaire, l'autre à une connaissance du passé, à une matière universitaire. En supprimant les articles définis, le critique les met sur le même plan. La conjonction de coordination, qui induit ce qu'on nomme en linguistique une implication matérielle, suppose une interdépendance et une interchangeabilité des deux termes. Mettre le "cinéma" en première instance permet cependant d'étonner le lecteur : quel rapport le cinéma peut-il bien entretenir avec l'Histoire, autre que la petite histoire, récit fictif que le cinéma présente aux spectateurs, ou un temps limité, celui de sa période de production, qui n'est pas de l'Histoire à proprement parler, puisqu'il est le temps vécu par son réalisateur ? (...)
[...] L'anonymat récurrent des épreuves cinématographiques, le statut d'instrument scientifique de la caméra davantage que producteur d'art on retient l'idée d'un spectacle d'ilotes associés à la peur d'un montage-mensonge, l'image paraissant paradoxalement moins immédiate que l'écrit, participent à rejeter le cinéma hors des sources documentaires de l'historien. Inconsciemment pourtant, le chercheur accomplit le même travail sélectif, et donc biaisé, qu'il craint de trouver dans l'image animée : il se fait metteur en scène de sa propre Histoire. L'image révélatrice : Jean-Marie Le Pen, il y a quelques années de cela, avait banalisé l'existence des camps d'extermination et ses effets, alors même que des documents filmés, plus vrais que nature existent[1]. [...]
[...] En élargissant les outils de l'historien, Ferro met, aussi, cette discipline, informative avant tout, à la portée de tous. Il refuse le dogmatisme des historiens, profession qu'il incarne pourtant lui-même, pour vouloir donner la possibilité au spectateur de vivre à son tour un pan de l'Histoire, en passant par une porte dérobée. Non content d'interroger le rapport existant entre Cinéma et Histoire, le film étant témoignage, trace, représentation d'une époque et tant d'autres choses encore, Ferro livre ici un ouvrage didactique et accessible, qui invite l'historien, comme le curieux, à renouveler ses conceptions mêmes de l'Histoire et à chercher, par une démarche rigoureuse, à scruter le temps. [...]
[...] Paul Veyne est encore plus critique puisqu'il voit dans l'entreprise de l'historiographe un don de prophétie pour le passé un usage maladroit de la rétrodiction. Dans une interview accordée à Hector Yankelevich traitant d'Histoire parallèle et datée de 1992, Ferro met en avant la puissance de l'image à but documentaire : elle dépasse les statistiques, les données virtuelles des historiens, précisément parce qu'en plus d'être visuelle, et donc efficace, elle apporte crédibilité en se faisant justification du propos tenu. Le critique met en garde contre le fait de conférer une simple qualité illustrative à l'image : les actualités sont forcément de propagande puisqu'elles cherchent à présenter le réel aux téléspectateurs et donc à le défigurer dans le cas de l'Allemagne, en évoquant en creux le problème ou en l'enterrant, comme pour la déportation des Juifs. [...]
[...] Le cinéma a l'avantage de pouvoir s'adresser aux masses tout en ayant un attrait divertissant. Etudiant maintenant un éventail américain de films, entre 1939 et 1943, l'historien en tire une conclusion sur l'atmosphère du temps : alors que les Américains ont clairement pris position contre le nazisme dès 1939, le gouvernement français ne sait contre quel camp se battre, nazi ou communiste. C'est en toute logique au cinéma américain qu'il s'agit de s'intéresser pour comprendre sa capacité à dépeindre le présent mais plus encore à appeler les spectateurs. [...]
[...] Ces chaines télévisées proposent à leurs téléspectateurs d'être à leur tour acteurs de l'information, en soumettant une photographie, accompagnée d'un court texte, relatant l'événement dont ils ont été témoins. L'information triée censurée ? n'en est pour autant pas vérifiée. Si l'actualité comme une Histoire vivante, en perpétuelle devenir, devient un trop plein, comme le préconisent les chaînes d'actualités qui dispensent des nouvelles éditions tous les quarts d'heure, on peut craindre de perdre la qualité d' enquête filmique préconisée par Ferro. [...]
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