On a toujours embarrassé les écrivains en leur demandant : « Mais, pourquoi écrivez-vous »? Jamais, sans doute, ne se sont-ils sentis aussi perplexes qu'au lendemain de la Libération. "Les Mandarins" de Simone de Beauvoir, publié en 1954, est, avant tout, une réflexion profonde sur le sens et la nécessité de la littérature. Plus précisément, sur le roman en lui-même. À la page 378 du roman, à Henri d'interpeller Dubreuilh : « Vous écrivez un essai, soit ; mais fabriquer un roman, avouez que c'est décourageant. »
[...] Il est surtout question de l'émancipation de Nadine (elle a arrêté ses études par souci d'indépendance pour finalement travailler à la revue de son père), jeune femme à fleur de peau, dont l'agressivité compense mal son sentiment d'infériorité. Quant à Lambert, le jeune de la bande, Henri lui concède que : C'est vrai que ce n'est pas commode d'être jeune en ce moment [ ] (p.430) (non sans écho avec ce que l'on entend dire aujourd'hui ) et tente de l'aider à s'affirmer en tant que personne. Alors, que faire de sa peau ? Il faut savoir saisir l'opportunité de la feuille blanche sans se compromettre et sans en avoir le vertige. [...]
[...] A Henri de lui répondre : Quand j'écris, oui, ça me remplit l'existence. J'ai même salement envie de m'y remettre. (p. 153-154). Quel est le rôle de l'écrivain ? Est-ce d'aider les gens à mieux penser, à mieux vivre ? En tout cas, se dit Henri à la page 230 : Vouloir écrire, c'est bien abstrait quand on n'a rien d'urgent à dire. D'où la question du roman gratuit qui voit le jour. Ecrire des choses gaies est- ce encore possible au sortir de la guerre ? [...]
[...] Sans conteste, cette réflexion à propos de la littérature (ses buts, son rôle, son sens) que mène ici Beauvoir constitue la partie la plus intéressante du roman. Fil directeur du roman, leitmotiv, aveux (comment ne pas prendre les doutes d'Henri sur son travail d'écriture pour les propres interrogations de l'auteur cette méditation donne une profondeur au roman qui aurait pu lui faire défaut. Ce débat prend d'autant plus d'importance lorsqu'on sait Simone de Beauvoir considère, elle-même, la littérature comme une voie de salut. En voyage au Portugal, Nadine interroge Henri sur son travail d'écriture : Explique-moi. [...]
[...] Peut-être que le monde s'en sortira mais quand ? C'est le récit de la décevante histoire de l'après-guerre qui débute. Les personnages tentent de se défaire de cette illusion insensée : l'impossible retour de l'avant-guerre après-guerre sur fond de nostalgie. Ce sentiment stérile traverse surtout les femmes (Paule, par exemple, à travers la vaine reconquête de l'amour perdu d'Henri). Comment se dégager du poids du passé, comment aller au-delà de cet entêtement absurde qui consiste à vouloir répéter l'aventure ? [...]
[...] Faut-il faire de la littérature le faire-valoir de l'action politique ? A Dubreuilh de s'exclamer : On croirait que la littérature de gauche est condamnée à une littérature de propagande dont chaque mot doit édifier le lecteur ! (p. 380) A Henri de lui répondre : Vous écrivez un essai, soit ; mais fabriquer un roman en ce moment, avouez que c'est décourageant. [ ] Vous m'avez prêché l'action : et l'action m'a dégoûté de la littérature. 378). Beauvoir exploite le thème de la compromission dans le bonheur, fait planer le spectre de la complaisance : a-t-on le droit d'être heureux alors que le malheur règne en maître pour des milliards d'individus ? [...]
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