« La maison de Chef » est une nouvelle de six pages, la plus courte du recueil "Les vitamines du bonheur" de Raymond Carver. Écrivain néo-réaliste, Carver est également considéré comme chef de file des "minimalistes". Son écriture vise en effet au dépouillement tant sur la syntaxe que le vocabulaire, les personnages et l'intrigue.
Aussi ses nouvelles donnent-elles une impression de totalité insécable coordonnée par des fils invisibles qui maîtrisent le récit grâce à "l'émotion de la simple réalité" plutôt que la carcasse visible de la rhétorique. Il sera donc intéressant d'examiner la structure de cette nouvelle comme une toile tissée vers un but précis : décrire l'inéluctable réalité de la vie.
[...] C'est donc sur un équilibre bancal que repose la pérennité du couple. Wes et Edma vivent dans l'illusion d'un monde totalement coupé de la réalité, ne se préoccupant que du maintien de la routine protectrice sans jamais envisager l'avenir. La béance du dialogue, un symbole de l'échec de la communication Aussi, lorsqu'arrive l'inévitable rupture et malgré l'apparition du premier vrai dialogue de la nouvelle, c'est au contraire le silence des non- dits qui structure la scène, témoignant par l'échec de la communication, celle du rétablissement du couple. [...]
[...] Le personnage d'Edma est quant à lui acculé par une loi qui le dépasse. Son silence hébété n'est rompu que par le nom de Wes qu'elle se répète intérieurement puis à haute voix, se raccrochant désespérément à un repère alors que tout se vide comme l'indiquent les verbes fermer disparaître finir et l'expression faire le ménage Le corps de la nouvelle, une mise en scène de l'échec Ainsi que l'analyse précédente a pu le démontrer, à la situation de départ qui apparaît déjà comme particulièrement instable, répond une fin où le déséquilibre s'est encore aggravé. [...]
[...] Cette action mène à une fin qui ne doit pas être prévue mais qui, une fois atteinte, doit être perçue comme ayant été inévitable depuis le début Le cadre étouffant du début devient envahissant, angoissant pour Edma Je regardai le séjour de Chef, les affaires de Chef, et je pensais, il faut qu'on fasse quelque chose, et vite La répétition du nom du propriétaire, l'expression faire quelque chose et l'adverbe vite montrent cette oppression du personnage dépassé par les événements, sans repères, dérangé dans son quotidien fragile. Puis comme en réponse à la fatalité première d'Edma, c'est celle de Wes qui prend le relais et lui fait répondre à sa femme demandant son attention Qu'est-ce que tu veux ? qui connote la lassitude. L'inutilité d'un quelconque effort de dialogue est d'ailleurs également perçue par Edma qui déclare c'est tout ce qu'il dit. Il ne dit rien d'autre. Ce n'était pas la peine L'excipit est alors envahi par le thème de la finitude triste. [...]
[...] L'ancien Wes qui montre ce même désir de reconstituer cette époque disparue. Son accord n'est d'ailleurs définitif qu'après avoir entendu Wes pleurer, ce qui lui paraît bon signe comme si cette sensibilité avait la valeur d'un engagement réel. L'intrigue que Carver met ici en place repose donc sur l'espoir de la résurrection d'un passé révolu, mais la seule réponse à cette attente des personnages et du lecteur va se trouver au début de l'excipit. Alors même que la situation du couple est sur le point de se désagréger définitivement, Edma lors d'un contact tendre avec Wes se remémore un souvenir heureux qui tranche avec la monotonie jusque-là constante du récit. [...]
[...] La combinaison de l'imparfait et du passé composé contribue à affadir le récit en lui conférant un aspect figé. La pauvreté du vocabulaire est alliée à la juxtaposition de propositions simples et la répétition, à la manière du discours laconique On a bu du café, des sodas et toute sorte de jus de fruits cet été-là. L'été durant, on n'a rien bu d'autre on payait le gaz et l'électricité, et on achetait les promotions au supermarché Le mardi soir on allait au cinéma. [...]
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