Dans La Religieuse "Diderot se livre à ce qu'il nomme lui-même une effroyable satire des couvents, mais cette volonté polémique ne vaudrait que pour l'anecdote s'il n'y développait une véritable méditation sur les méfaits de la solitude et sur les effets pervers de la violence que l'homme exerce contre la nature et contre lui-même- spirituellement par le fanatisme, physiquement par la répression systématique des besoins du corps".
Dans quelle mesure ce propos de Pierre Lepape (Diderot, Flammarion, coll.Champs) éclaire-t-il votre lecture de l'oeuvre? (NB: Edition utilisée: Folio Classique, 1972.) (...)
[...] Encore une fois Diderot ne fait pas le procès du catholicisme. Il prend soin de préciser la dérive sectaire de certaines doctrines, trop éloignées d'un christianisme dépouillé qu'il prône malgré tout son matérialisme (voir ses Pensées philosophiques). Sœur Suzanne garde la foi malgré tout, tente coûte que coûte d'assister aux offices, de faire son devoir d'état. C'est bien le fanatisme qui est dénoncé, un fanatisme qui surprendra même l'archidiacre lors de son enquête liée au procès:"Cela est horrible. Des Chrétiennes! Des religieuses! Des créatures humaines! [...]
[...] C'est l'objet de la réflexion proposée par Diderot avec l'arrivée de la nouvelle supérieure. "Ce fût la sœur Sainte-Christine qui succéda à la mère de Moni. Ah! Monsieur, quelle différence entre lui et l'autre!"(p89). Après les souffrances morales, voici venu le temps des souffrances physiques et des humiliations. )la seconde au contraire renvoya à chaque religieuse son cilice et sa discipline".Ces mortifications étaient d'ordinaire réservés aux religieuses axées sur une spiritualité ascétique liée au rigorisme et devaient avoir l'approbation de leur supérieure qui les jugeait psychologiquement apte à ce genre de pratique. [...]
[...] Elle a déjà un pied dans l'au-delà, qu'elle souhaite rejoindre:"Je suis lasse de vivre, je souhaite de mourir"(p81). Ce détachement des choses terrestres fait l'admiration de Suzanne, mais limite l'aide que sa supérieure peut lui offrir. Suzanne malgré tout a besoin de ce qui vient de l'homme. Après la mort de sa supérieure, Suzanne connaît la vraie solitude. Son père et sa mère meurent aussi. La fatalité se fait plus pesante, l'heure des vœux approche, la nature refoulée, assoiffée de liberté, commence à forger dans l'esprit une nouvelle approche de sa condition. [...]
[...] N'est-ce pas aller contre la perfection à laquelle il doit aspirer? Dans quelle mesure cette infamie qu'il dénonce dans les ordres monastiques constitue-t-elle la trame de son roman? C'est la distinction compliquée entre nature bonne et nature déchue que Diderot essaie de résoudre à travers l'histoire de Sœur Suzanne. Il semble que deux axes principaux ont guidé son entreprise, et ce à travers les différents couvents fréquentés par la religieuse: D'une part l'observation empirique des effets pervers de la continence non consentie, quelle soit dans le domaine de la solitude ou des besoins naturels au corps, et d'autre part la condamnation sans appel des institutions (en particulier religieuses ) qui laissent libre cours à ces actes odieux sous couvert de piété, et qui justifient d'écrire ce qu'il appelle lui-même "une effroyable satire des couvents". [...]
[...] On peut considérer que son séjour jusqu'à la mort de Mme de Moni est dans la continuité de son séjour à Sainte-Marie. Et si ce qui la fait souffrir est essentiellement cette atteinte à la liberté, elle trouve en sa supérieure un soutien et un modèle de vertu. Mais surtout un soutien humain. Elle répond à ses questions logiques avec le même esprit, mais toujours inspirée par la foi:"Et les autres états n'ont- ils pas leurs épines? On ne sent que les siennes."(p79). [...]
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