De fait, dans Les Géorgiques, qui déploient une véritable ontologie de la ruine, les traces de toutes sortes prolifèrent - objets, documents iconographiques, écrits, épitaphes...- et sont autant de réceptacles de la mémoire où le temps s'incarne, se fossilise. La fascination pour les traces physiques du passé, objets de mélancolie, est palpable : ainsi, dans la 1ère partie est décrit un personnage qui lit les registres de LSM, registres d'ailleurs décrits avec une minutie scrutatrice, témoignant d'un goût pour l'aspect matériel de ces ruines (insistance sur l'écriture, l'encre, les ratures, le déchiffrement de l'épitaphe d'une tombe...). Outre les papiers de l'ancêtre, figurent dans le roman la facture d'un joaillier, une plaidoirie pour vol après la mort de LSM, et la sentence du frère de celui-ci. Le legs des papiers de LSM, ancêtre du narrateur, provoque l'écriture : le passé familial (lourd d'un secret intrigant...) sert de prétexte, de « stimuli » pour reprendre l'expression d'un Cl. Simon qui avouait ne pas avoir d'imagination, déclarant par ailleurs que « la réalité dépasse la fiction » et qu'il ne peut parler que de lui-même, tout en romançant cependant plus ou moins son vécu, ?fictionnalisé' « pour satisfaire à une vague ?loi du genre' ou se prêter à des jeux de construction » (Cl. Simon) (...)
[...] L'œuvre littéraire, fictionnelle, échappe ainsi à la représentation, pour révéler une réalité qui ne cesse de se dérober : on passe en quelque sorte d'une littérature de la mimesis, de la représentation, à une littérature de l'interrogation, de l'exploration (d'où la tâche plus ardue, sans doute, du lecteur, nécessairement actif). Valéry déclarait : Penser ? . Penser ! C'est perdre le fil : le récit de Cl. Cimon progresse ainsi toujours vers une totalisation utopique, jamais accomplie, toujours en accomplissement, pour reprendre la formule de Dällenbach. Selon A. [...]
[...] Les commentaires d'ordre métadiégétique abondent dans Les Géorgiques : le récit porte en lui-même sa propre mise en question. L'écriture simonienne explore les conditions de possibilité de la connaissance : Les Géorgiques pourraient apparaître comme un roman du roman, un roman qui expose et commente sa propre genèse, et s'interroge sur les modalités de l'écriture. En particulier, le narrateur met souvent en scène le processus même de l'écriture, en insistant sur les gestes, les mouvements de rectification, les ratures, les doutes, les difficultés de celui qui écrit ; l'auteur aime à mettre en scène des personnages tentant de se remémorer les faits, pour exhiber le magma le désordre foisonnant, la mosaïque lacunaire qu'est la mémoire, loin d'être infaillible. [...]
[...] Simon répond, de façon fort éloquente : Comment était-ce ? Comment savoir ? Cela ressemble au Que sais-je ? de Montaigne, une interrogation donc On pourrait la mettre en exergue de tous mes livres. C'est en partie pour répondre à cette question que j'écris (Entretien Clavel, 1989). Or, précisément, il n'y a jamais de réponse . L'écriture s'avère ainsi toute tendue vers la recherche d'un savoir, mettant en scène un mouvement vers la compréhension, un appétit de savoir, sans jamais prétendre l'atteindre. [...]
[...] s'efforce assez désespérément de trouver un sens, rétrospectivement, à des faits qui n'en avaient pas, à ses yeux, et de son propre aveu, lorsqu'il les a vécus : la vérité, c'est qu'il a régressé au degré zéro de la pensée et s'est vu réduit au rôle de bête traquée. Exposer logiquement les événements s'avère ainsi impossible, la réalité s'avérant bien trop complexe pour pouvoir être prise dans les rets d'explications causales ; aussi un tel récit ne peut-il être que simplificateur, et ce d'autant plus qu'O. [...]
[...] Pouvoir critique de la fiction et éthique de l'opacité Dans Les Géorgiques, Cl. Simon se dégage du modèle historique traditionnel, en privilégiant ce qui ferait la spécificité de la fiction : non pas la restitution d'une conception abstraite de la réalité (comme le proposeraient les sciences humaines), mais une tentative de pénétrer la sphère du vécu, quand bien même le miroir qu'elle tend ne rendrait le réel que de façon approximative et sporadique. Comme le soulignait Th. Pavel, l'œuvre de fiction peut être porteuse de sens au même titre que les énoncés non fictionnels, si elle sert de tremplin vers des inférences révélatrices[4] La fiction pourrait ainsi recevoir un fondement, une légitimation épistémologique Réécritures critiques Dans Les Géorgiques, Cl. [...]
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