Londres, 1984. Winston Smith, employé du Parti extérieur commet un crime par la pensée en écrivant son journal à l'abri du télécran qui le surveille nuit et jour. Cet acte d'écriture est performatif, il contient en lui la condamnation de Smith, sa torture par les membres du Parti et sa soumission à l'autorité de Big Brother. Entre ces deux occurrences, Smith a le temps de réaliser le fonctionnement du monde dans lequel il vit : aliénation par le travail et la propagande, ivresse du pouvoir, idéologie de la haine et de la violence, tels sont quelques uns des aspects d'une société qu'il tente de fuir par la pensée.
Utopia, date inconnue. Raphaël Hythlodée, philosophe navigateur, débarque sur une île qui fait du bonheur sa règle première et travaille à l‘épanouissement de l‘esprit par la culture et le loisir. Témoignage d'un monde meilleur, où l'homme est libéré des ravages de l'individualisme et des inconvénients du politique pour vivre selon la seule loi de la nature, l'île d'Utopia ouvre un nouvel « ère des possibles ». C'est en tout cas comme telle que cette société imaginaire est présentée par le témoin qui, loin de vouloir la fuir, en fait l'éloge.
Ces deux récits, ces deux sociétés semblent n'avoir rien en commun. Faut-il pour autant les considérer comme fondamentalement antinomiques ? L'utopie de More n'est-elle qu'un envers paradisiaque de la dystopie d'Orwell ? C'est à ces questions que nous tenterons de répondre ici. Pour cela, il faudra d'abord montrer que les récits se livrent, l‘un comme l‘autre, à une analyse critique de la société réelle, ce qui confirme que les démarches des deux auteurs peuvent, à certains égard, être rapprochées. Il sera ensuite intéressant de montrer que cette analyse critique entraîne l'invention de deux mondes imaginaires qui reposent sur des principes diamétralement opposés. Enfin il s'agira de montrer que malgré ces différences, l'Utopia de More n'est pas l'exact envers de l'Océania d'Orwell en ce sens qu'elle recèle une potentielle dimension dystopique.
[...] La déémarche de Thomas More et celle de George Orwell peut donc êêtre, àà certains éégards, comparéée. Dans les deux cas, il s'agit d'utiliser la fiction pour poser la question des déérives de la sociéétéé rééelle. Les deux réécits ne relèèvent pas de la pure fiction ou de l'exercice de style, l'objectif central est bien la déénonciation d'un ordre existant. Si les techniques utiliséées par les deux auteurs pour produire leur analyse critique sont difféérentes (il s'agit chez More de la comparaison et chez Orwell de l'exagéération), leur projet semble êêtre similaire : attirer l'attention de leurs contemporains, aveugles aux éévolutions de leur sociéétéé, sur les déérives inhéérentes àà leur systèème social et politique. [...]
[...] La recherche de nouvelles armes est une des rares activitéés restantes dans lesquelles le type d'esprit inventif ou spééculatif peut trouver un exutoire Les progrèès techniques eux-mêêmes ne se produisent que lorsqu'ils peuvent, d'une faççon quelconque, diminuer la libertéé humaine. Il est àà peine besoin de dire que le droit au bonheur est inexistant en Océéania, le seul but du Parti est d'acquéérir un pouvoir absolu et dans cette logique l'éépanouissement personnel n'a pas sa place, l'individu n'est qu'un rouage qui sert les volontéés du Parti. Mêême le droit de vivre, principe central de l'Utopia est inexistant en Océéania. [...]
[...] De Thomas More àà Léénine le rêêve ééternel d'une autre sociéétéé, Robert Laffont, Paris A cet éégard voir Yolèène Dilas op. cit., p qui montre, en reprenant l'analyse que fait Annah Arendt des réégimes totalitaires, combien ceux-ci sont éétrangers àà toute notion de consensus, d'ordre ou de logique George Orwell, Lettre àà Francis Henson, juin 1949, citéé in Yolèène Dilas, op. cit. p. 264. [...]
[...] Ici encore, le réécit d'Orwell permet d'entrevoir la dimension ultra réégentéée et contraignante d'Utopia qui limite fortement la libertéé d'expression en assimilant tout propos déélictueux àà un acte déélictueux. Un autre aspect apparaîît clairement dans la description de l'îîle, celui de l'importance qu'accorde cette sociéétéé àà l'utile. Voici ainsi comment Raphaëël déécrit la manièère dont sont habilléés les utopiens : Chacun se contente d'un habit qui lui dure le plus souvent deux ans alors qu'ailleurs on ne se juge pas satisfait avec quatre ou cinq vêêtements de soie et qu'il en faut au moins dix aux plus raffinéés. [...]
[...] Elles forment deux rangs continus, constituéés par les faççades qui se font vis-àà-vis, bordant une chausséée de vingt pieds de large. Derrièère les maisons, sur toute la longueur se trouve un vaste jardin, bornéé de tous côôtéés par les faççades postéérieurs Droit au bonheur, abondance, confort, autant de concepts que les habitants d'Océéania ne connaissent pas ou du moins auxquels ils n'attribuent pas le mêême sens. Il existe bien un Ministèère de l'Abondance dans le Londres imaginéé par Orwell mais le processus de double penséée (i.e le pouvoir de garder àà l'esprit simultanéément deux croyances contradictoire, et de les accepter toutes les deux transforme son acception, il s'agit en fait d'un ministèère qui entretient la misèère afin de tenir ses habitants dans une soumission totale. [...]
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