Leçons est un recueil de 23 poèmes édité en 1977 (contre 22 dans la première version de 1966-67), ainsi que les deux recueils suivants.
Ce recueil se situe au confluent de plusieurs « manières » de Jaccottet :
Il évoque la première manière de Jaccottet et revient sur ce ton trop haut de Requiem et de L'Effraie et de certaines pages de L'Ignorant, que Jaccottet souhaite désormais abandonner.
Il prolonge la réflexion sur l'ignorance et la leçon d'ignorance, la poésie comme vecteur de la négativité. Il s'agit en ce sens d'une reprise du contenu de L'Ignorant.
Il privilégie la forme brève, le vers bref de Airs. On y perçoit l'influence du Haïku japonais.
Ce recueil revêt enfin une importance particulière puisqu'il clôt un cycle de travaux poétiques sur la mort et sur l'ignorance. Chants d'en-bas et A la lumière d'hiver, parus simultanément seront moins marqués par ces deux orientations.
Selon Jaccottet lui-même (cf. La Transaction secrète), Leçons est le recueil le plus travaillé, et pourtant le moins abouti. Et de fait, Jaccottet a tenu à laisser patentes et la marque du travail en cours et celle de l'inaboutissement. Les variations sont souvent significatives, nous en expliquerons à l'occasion quelques unes.
Leçons, est enfin le fruit d'une expérience de la mort, non plus seulement, pour parler comme Jankélévitch, de la « mort à la troisième personne », celle dont parle Jaccottet d'après documents (comme dans Requiem), mais la « mort à la deuxième personne », celle d'un proche, expérience qui préfigure la déchirure ultime, celle de notre propre mort. On n'apprendra qu'en 1994 dans un petit volume intitulé Tout n'est pas dit que le disparu était Louis Haestler, beau-père de Jaccottet, « un homme simple et droit » et dont la droiture même l'a inspiré pour dire « la douleur
de sa fin ». Quelque éprouvante que soit la mort de Haestler, elle ne fait pas oublier la succession de deuils auxquels Jaccottet doit faire face. Entre 1970 et 1974, les deuils se multiplient : mort d'Ungaretti en juin 1970, mort de la sœur de Gustave Roud en février 1971, mort de Christiane Martin du Gard en novembre 1973, puis grave maladie de la mère de Ph. Jaccottet qui meurt en mai 1974. Ainsi, s'il y a un deuil à l'origine du recueil, il y en a plusieurs à l'origine du remaniement du recueil, comme si chaque mort provoquait un nouveau travail.
Nous procéderons donc en trois temps : d'abord en traitant comment ces Leçons témoignent d'un apprentissage de l'historialité, au sens heideggérien du mot, puis comment la poésie se met elle-même à l'épreuve de l'infini. Enfin nous étudierons le caractère litanique de ces « leçons de ténèbres ».
[...] Cette écriture répétitive est partie prenante de la visée palinodique du projet de Jaccottet. L'indicible C'est précisément par cette écriture répétitive que l'indicible, l'incommensurable peut être cerné, ce qui redonne une légitimité à la parole poétique. Elle ne se contente pas de dire, elle suggère aussi. L'indicible est ainsi approché sans être nommé. Fait curieux, une seule fois dans le recueil le mot mort est prononcé au singulier, à la fin p (une autre fois pour désigner les morts p. [...]
[...] En effet, de même que plusieurs voix se recoupent, plusieurs échelles temporelles se superposent : La temporalité de la mort : une temporalité d'abord longue de jour en jour (p. 12) que l'imminence de la mort accélère lorsque le maître si vite est emmené si loin p. 12). La mort même semble survenir dans une nuit : est-ce ainsi qu'il se tait dans l'étroitesse de la nuit ? / se peut-il que la plus épaisse nuit n'enveloppe cela ? p. ou plutôt à la fin de la nuit, dans le jour hérissé d'oiseaux (p. on ne sait pas très bien. Puis vient le vent du matin (p. [...]
[...] De même que Jaccottet transforme le mesure des pp et 18 en misère p il n'est pas rare qu'on entende mort au détour d'un vers où tout le laisse suggérer, de manière condensée, variée ou dilatée, dans certains échos funèbres. Cadavre. Un météore nous est moins lointain (p. 27) Il sort des mots (p. 19) Jaccottet procède là à une sorte de paragrammatisation phonique du son mort à une dissémination de la mort dans le recueil, comme s'il reprenait dans Leçons l'image qui lui est chère de la semaison. [...]
[...] Parce que celui qui reçoit la leçon est plus qu'une voix anonyme, qu'un je lyrique sans histoire ; presque peut-on dire qu'il s'agit de Philippe Jaccottet en chair, en os et en texte. Deux moments du texte nous le rappellent de manière tout à fait explicite pour le lecteur familier de son œuvre : p : Moi, l'effrayé, l'ignorant Ces deux mots rappellent bien évidemment L'Effraie et L'Ignorant. L'important est qu'ils nouent un lien entre le moi et l'œuvre, qu'ils fondent comme une histoire du moi. [...]
[...] Jaccottet qui meurt en mai 1974. Ainsi, s'il y a un deuil à l'origine du recueil, il y en a plusieurs à l'origine du remaniement du recueil, comme si chaque mort provoquait un nouveau travail. Nous procéderons donc en trois temps : d'abord en traitant comment ces Leçons témoignent d'un apprentissage de l'historialité, au sens heideggerien du mot, puis comment la poésie se met elle-même à l'épreuve de l'infini. Enfin nous étudierons le caractère litanique de ces leçons de ténèbres L'apprentissage de l'historialité Dramaturgie de la mort Jaccottet ne nous présente pas une mort étale, abstraite, mais une mort qui, de l'agonie à l'effacement, passant par le paroxysme que constitue la déchirure, a une histoire, un trajet. [...]
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