Après 1920, les linguistes, comparant entre elles les diverses langues connues ainsi que leurs systèmes, se sont aperçus de nombreuses récurrences dans leurs "modèles" et dans leurs "catégories d'expression". Forts de ce constat, certains, parmi lesquels Émile Benveniste lui-même, se sont servis de ces connaissances nouvelles pour chercher à comprendre ce qui caractérise en propre ces usages linguistiques constants.
"Le langage et l'expérience humaine", article paru dans le numéro spécial (51) de Diogène et réédité dans Problèmes du langage, par Gallimard en 1966, permet à l'auteur de fournir des hypothèses concernant le fonctionnement des pronoms du singulier et des déictiques compris dans leur rapport à la temporalité linguistique au sein d'un échange discursif.
Pour cela, Émile Benveniste procède en trois temps. Il s'intéresse d'abord à l'usage particulier des pronoms personnels singuliers et des déictiques au sein de l'énonciation, puis aux notions véhiculées par le rapport humain au temps physique et chronique. Enfin, l'auteur peut traiter des spécificités du temps linguistique et de la manière dont, à l'écrit, s'effectue de nouveau la jonction avec le temps chronique.
1. L'usage des pronoms personnels singuliers et des déictiques au sein de l'énonciation
L'usage de "je" discrimine le locuteur vis-à-vis de l'interlocuteur. À chaque fois, ce terme, toujours identique, ne renvoie pourtant jamais au même énoncé, puisqu'il permet "l'insertion du locuteur dans un moment nouveau du temps et dans une texture différente de circonstances et de discours" (p. 3). "Je", en tant que simple "donnée lexicale" vide s'actualise donc seulement lorsqu'il est "mis en action dans le discours" (p. 3).
Formant couple avec "tu", ce terme s'oppose à "il" dans l'expression d'une expérience vécue à travers l'immédiateté du dialogue énoncé. Ce couple de pronoms doit être assumé par les locuteurs acteurs du discours pour se charger de sens, ne plus représenter qu'une simple fonction grammaticale, mais se transmuer en "donnée". "Je" et "tu" sont assumés en alternance par chacun des locuteurs (...)
[...] Ce que le temps linguistique a de singulier est qu'il est organiquement lié à l'exercice de la parole, qu'il se définit et s'ordonne comme fonction du discours (p.8). Le centre générateur et axial de ce temps linguistique est le présent l'événement comme contemporain de l'instance du discours qui le mentionne (p.8). Pourtant, le présent linguistique ne recoupe pas le temps chronique suivant l'une de ses divisions mensurative car chacune peut être convoquée lors du moment neuf, non encore vécu (p.9) déterminé par chaque énoncé nouveau. [...]
[...] D'où il ressort que les choses désignées et ordonnées par le discours (le locuteur, sa position, son temps) ne peuvent être identifiées que pour les partenaires de l'échange linguistique (p.12). Le temps linguistique est centré sur aujourd'hui Seuls hier et demain et leurs extensions (avant-hier et après-demain) lui sont associés. Au-delà, le discours sort de son plan propre et utilise la graduation du temps chronique (p.12). Cependant, pour effectuer cette jonction, des marqueurs spécifiques auparavant plus tard etc.) demeurent nécessaires. L'intersubjectivité a ainsi sa temporalité, ses termes, ses dimensions. Là se reflète dans la langue l'expérience d'une relation primordiale, constante, indéfiniment réversible, entre le parlant et son partenaire (p.13). [...]
[...] Ces vues sur le temps, la langue ne les situe pas dans le temps selon leur position propre, ni en vertu d'un rapport qui devrait être alors autre que celui de la coïncidence entre l'événement et le discours, mais seulement comme points vus en arrière ou en avant à partir du présent (p.9). Le passé existe dans toutes les langues avec parfois deux ou trois formes distinctes. En français, par exemple, on fait fonctionner concurremment un passé défini, et un autre, indéfini. Histoire et narration sont donc explicitement distinguées au moyen de l'emploi de ces deux formes. En revanche, pour déterminer une action future, dans beaucoup de langues, on utilise le présent avec quelque adverbe ou particule qui indique un moment à venir (p. [...]
[...] Émile Benveniste avance l'hypothèse que cette dissymétrie entre expression du passé et expression du futur résulte de la nature inégale de l'expérience (p.10) qu'en a le locuteur. L'auteur s'interroge ensuite sur la question de l'insertion de la temporalité au cœur du discours. Puisque l'expérience d'une locution présente est toujours nouvelle et unique, le discours devrait produire une expérience irrémédiablement subjective et impossible à transmettre (p.10). Or, ce n'est pas le cas car la temporalité du locuteur est convertie et assimilée par son interlocuteur et réciproquement. [...]
[...] Pour cela, Émile Benveniste procède en trois temps. Il s'intéresse d'abord à l'usage particulier des pronoms personnels singuliers et des déictiques au sein de l'énonciation, puis aux notions véhiculées par le rapport humain au temps physique et chronique. Enfin, l'auteur peut traiter des spécificités du temps linguistique et de la manière dont, à l'écrit, s'effectue de nouveau la jonction avec le temps chronique L'usage des pronoms personnels singuliers et des déictiques au sein de l'énonciation L'usage de je discrimine le locuteur vis-à-vis de l'interlocuteur. [...]
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