Deux "avertissements" encadrent le roman à proprement parler, et le corpus des Lettres est introduit simultanément par l'éditeur ("Nous") et le rédacteur ("Je"). De façon subtile et ironique Laclos les fait se contredire : pour l'éditeur, il y a doute sur l'authenticité de "moeurs qui nous sont si étrangères" ; ce doute est, en même temps un certificat d'immoralité ; comment croire, qu'il soit possible d'avoir un comportement si immoral ?
" ...et nous avons même de fortes raisons de penser que ce n'est qu'un Roman."
Et Laclos de préparer la "chute" ironique avec un clin d'oeil à Voltaire (citation des causes et des effets, directement reprise au Pangloss de Candide) (...)
[...] Le premier critère de ce réalisme est la véracité de la psychologie : Dés les dernières années du XVIIème siècle, à une étude des archétypes, des modèles éternels, vices et vertus de l'âme, succède l'empirisme individualiste, c'est-à-dire que la croyance en une nature humaine universelle, au lieu de s'exprimer en grands types va prendre conscience de l'individu et de ses particularités ; Au lieu de supposer un fond commun à tous les hommes, et d'étudier ce fond commun, on va considérer chaque homme dans son individualité, son originalité, son destin personnel ; [ psychologie individuelle qui se développe dans un destin particulier, comme dans La princesse de Clèves, Madame de Lafayette, où le personnage est encore un héros Au contraire, dans Manon Lescaut, de Prévost, on étudie une aventure personnelle en ce qu'elle est particulière et révèle la psychologie d'un individu : le héros devient personnage ; De plus, sur le plan sociologique, la Régence mêle toutes les classes sociales (cf. Le paysan parvenu, La vie de Marianne) : Le roman devient un lieu d'échange culturel, aristocrates et grands bourgeois y découvrent une réalité pittoresque// petits bourgeois et gens du peuple y goûtent le dépaysement du beau monde ; l'essor du genre romanesque est lié à l'affaiblissement des structures morales, littéraires, sociales qui soutenaient l'univers classique. [...]
[...] Il subsiste dans le ton une impalpable ironie, et c'est cette ironie qui fait persister dans le pacte de lecture, une ambiguïté : les mots qui reviennent ouvrage morale connotent malgré tout une permanence de création de fiction littéraire ; Le pacte du réalisme, une fois établi, se révèle ne servir qu'à ce que Laclos attend du lecteur : une lecture qui adhère à l'œuvre, en apprécie l'art, en le confrontant au réel et ne lise dans sa crédibilité qu'une preuve de réussite artistique ; Mais on doit sentir que, pour qu'il fût nécessaire de répondre à tout, il faudrait que l'Ouvrage ne pût répondre à rien ; et que si j'en avais jugé ainsi, j'aurais supprimé à la fois la Préface et le Livre. Avec cette pirouette ironique, Laclos laisse le pacte de lecture s'achever sur la lecture : au lecteur de juger ; l'Ouvrage vaut-il par lui-même une lecture ? A-t-il besoin d'être certifié authentique pour être lu ? [...]
[...] Les liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos Roman épistolaire ou les conditions d'un réalisme le roman épistolaire et l'évolution du roman au XVIIIème siècle les conditions d'un réalisme : le pacte de lecture l'espace, le temps, la conduite du récit la stratégie narrative . / . le roman épistolaire et l'évolution du roman au XVIIIème siècle : Les années qui suivent la Régence voient un essor du genre : Le roman Précieux et le roman épique disparaissent ; Le genre s'affirme et se libère, en même temps, il devient protéiforme et adopte beaucoup de formes différentes : roman social, biographique, philosophique, etc. [...]
[...] Parallèlement, on voit une incertitude de la forme narrative, cet essor ne s'accompagne pas d'un renouvellement des formes, le roman hérite des formes du passé mais dans la conquête d'un réalisme, il en instaure instinctivement d'autres : - roman à la 1ère personne : le je est supposé ne pas mentir, il est supposé livrer les secrets d'une conscience individuelle ; - le roman mémoire : là aussi, les mémoires sont supposés dévoiler un réel passé et authentifié, l'histoire vraie d'un destin dont on se souvient ; - le roman épistolaire : la publication concertée de lettres véritablement écrites, impose leur crédibilité : on fait semblant de découvrir une correspondance, et d'en dévoiler les secrets ; en outre, chaque lettre écrite par un je locuteur, atteste son authenticité ; - C'est à cette dernière catégorie qu'appartiennent Les Liaisons dangereuses, données en outre, comme un roman à clé c'est-à-dire véritablement écrit par des personnes ayant existé ; de plus, le projet moral de la préface, sert le réalisme en tentant d'imposer une leçon, un exemple à ne pas suivre ; Les conditions d'un réalisme : le pacte de lecture : Deux avertissements encadrent le roman à proprement parler, et le corpus des Lettres est introduit simultanément par l'éditeur Nous et le rédacteur Je ; De façon subtile et ironique Laclos les fait se contredire : pour l'éditeur, il y a doute sur l'authenticité de mœurs qui nous sont si étrangères ; ce doute est, en même temps un certificat d'immoralité ; comment croire, qu'il soit possible d'avoir un comportement si immoral ? . et nous avons même de fortes raisons de penser que ce n'est qu'un Roman. [...]
[...] Dans les dernières années du siècle de Louis XIV, on voit se multiplier les traductions et imitations du Don Quichotte qui dénoncent l'illusion romanesque, l'imagination apparaît comme une puissance trompeuse ; Or, le roman va connaître une évolution contradictoire, puisqu'à partir du XVIIIème siècle, les écrivains vont précisément recourir à ce genre discrédité pour diffuser l'essentiel de leur pensée ; Marivaux, Lesage, Prévost, mais aussi Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau. Pour les uns, il y aura recours à la fiction pure, voulue, et à l'humour pour établir une distance nécessaire à l'argumentation philosophique : Montesquieu avec Les Lettres Persanes, Voltaire avec Candide utilisent la fiction romanesque en tant que telle et la revendiquent comme un outil narratif qui véhicule critique philosophique et débat d'idées en les mettant à l'abri de la censure. [...]
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