Philippe CLAUDEL a cette faculté de mettre en évidence la fragilité des êtres et des situations. Il sait parler de la douleur, de l'absence, de l'humain à la fois si beau et si laid, de la différence aussi.
La différence est d'abord une origine étrangère à un milieu particulier. Dans Le rapport de Brodeck, le lieu de référence était le village, dans Le bruit des trousseaux de clés, il s'agissait de la prison. Ici, un océan sépare les deux lieux, un pays brisé par la guerre et un autre, plus froid, moins coloré, mais qui est aussi l'avenir dans une situation sans retour possible.
Par ailleurs, le personnage central n'est pas ici un homme jeune, plus prompt, peut-être, à prendre un nouveau départ. C'est un vieil homme, qui serre dans ses bras sa petite fille.
Résumé
C'est sur cette image que s'ouvre le roman : un vieil homme, un bébé dans les bras, sur un bateau alors que la terre s'éloigne déjà. Ce pays qui disparait peu à peu est peut-être le Viêt Nam, le Laos ou le Cambodge. Mais rien n'est précisé et ce pourrait être n'importe quel pays. Le nom du personnage évoque l'Asie mais la situation serait sans doute la même quelles que soient ses origines.
Monsieur Linh arrive dans un pays, peut-être en Europe, où il découvre peu à peu une nouvelle ville, sans en parler la langue et toujours très occupé par sa petite fille. Les souvenirs resurgissent et le lecteur découvre sa vie, parallèlement à celle de Monsieur Bark, un veuf de fraîche date qui lui a adressé la parole un jour et avec lequel il partage un peu de temps et d'humanité.
Cet homme devient rapidement le repère de Monsieur Linh dans ce monde étranger. Il lui donne un visage, une odeur, une tonalité. Mais quand Monsieur Linh est transféré du foyer d'accueil vers un établissement pour personnes âgées, tout s'effondre.
[...] Dès 1999, Claudel peignait la noirceur de la vie, son poids, avec parfois une lueur d'espoir. Quelques uns des cent regrets traitaient de ces mots, de ces échanges qu'on n'ose jamais ou qu'on ne prend pas le temps de concrétiser, de ce vide laissé par la mort d'un parent. La mort est aussi au cœur de J'abandonne, poignant portrait d'un père dont la femme est morte en donnant la vie. En 2002, c'est son expérience d'intervenant dans une prison que raconte Philippe Claudel dans le bruit des trousseaux de clés, un univers fermé, pesant Les lieux et les communautés ont une importance très marquée dans de nombreuses œuvres de Claudel, à l'exemple du rapport de Brodeck où il y le village face à l'étranger, celui qui n'y est pas né Philippe Claudel est également l'auteur de l'enquête, parue en 2010, de nombreuses nouvelles (les petites mécaniques par exemple), de pièces de théâtre (dont le paquet). [...]
[...] Aux premières images de guerre, ayant motivées le départ et préparant la suite du récit, succèdent des images colorées de ce pays d'Asie, des odeurs, une chaleur humaine. Au village, chacun se connaissait depuis toujours. Le village était petit et la vie s'y déroulait sereinement, au rythme des saisons, des naissances et des morts. Ce pays perdu, c'est aussi l'image de la femme aimée, morte depuis longtemps, mais toujours aussi belle dans l'esprit du vieil homme et aussi présente dans son cœur. [...]
[...] Ce nom surprend, mais cet homme comprend rapidement l'importance de la petite fille, comme en témoigne la robe qu'il lui achète. Il porte sur elle un regard bienveillant, en la regardant toutefois différemment du vieil homme et sans percevoir la tragédie qu'elle porte, du moins pas dans toute son horreur. Car Sang Diuu semble épargnée par tous les fléaux qui déciment les hommes : la maladie, les accidents, la guerre. Ce n'est qu'une poupée adoptée par le vieil homme car la réalité (la mort de sa véritable petite fille) était trop intolérable, une toute jeune vie arrachée et avec elle, la fin de tout avenir. [...]
[...] Il est probable que cela ne changerait peut-être pas son geste de réconfort, car chacun a désormais besoin de l'autre. Sans savoir la langue de l'autre, ils ont su se comprendre, trouver cette qualité d'échange qui unit les amis. Et quand M. Linh est reversé par une voiture, il sait que cet ami sera présent, que le lien vers son nouveau pays est bien établi, peut-être aussi qu'il est temps de faire son deuil de sa petite fille. La petite fille La petite fille est, en effet, à la fois ce qui le rattache au passé et ce qui le stimule pour continuer à avancer, quand le découragement le guette par exemple, comme lorsqu'il s'enfuit de sa maison de retraite. [...]
[...] C'est la femme de ce dernier qui occupe les premières conversations, sur son départ, ce manège qu'elle tenait dans le parc, le rire des enfants. Le nouveau monde, si froid (on imagine Monsieur Linh sortir avec ses multiples épaisseurs de vêtements), se réchauffe pour le vieil immigré. Il est une voix, chaude, sourde, riche d'inflexion et de vie. Il est également un sourire, puis des échanges (le vieil homme offre des cigarettes à son ami qui a acheté une robe à la petite fille, qui lui fait découvrir la ville, l'invite au restaurant). M. Bark a combattu dans le pays de M. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture