L'arrivée du prince est truquée, puisque la forteresse végétale formée par les arbres et les ronces s'écarte d'elle-même, comme un décor d'opéra, devant ses pas conquérants, pour le laisser passer. Le combat et la victoire, que Propp, dans sa Morphologie du conte, considère comme le noyau du conte de fées, sont donc escamotés, ce que souligne ironiquement une intrusion du narrateur, qui prend un ton proverbial : « Un prince jeune et amoureux est toujours vaillant ». On peut rappeler que l'une des sources les plus souvent alléguées pour rendre compte du conte de Perrault est le conte de « Troylus et la Belle Zélandine », un épisode du roman médiéval anonyme du XVIème siècle, intitulé Perceforest. Cf. aussi dans Psyché de La Fontaine, lorsque l'héroïne est envoyée aux enfers par Vénus pour demander à Proserpine une boîte de son fard, la fée qui la protège secrètement lui dit : « N'appréhendez point les ronces qui bouchent la porte, elles se détourneront d'elles-mêmes ». Mais, au retour, quand, punie de sa curiosité, elle a été métamorphosée en belle moresque, et qu'elle se présente à la porte de la tour par où elle est descendue dans le royaume des morts, « les épines qui la bouchaient, et qui s'étaient d'elles-mêmes détournées pour laisser passer Psyché la première fois, ne la reconnaissant plus, l'arrêtèrent ». Ces détails, qui ne trouvaient pas dans les Métamorphoses d'Apulée, ont été ajoutés par La Fontaine.
[...] L'accomplissement des désirs monstrueux de la Reine Mère ne peut se dérouler qu'en dehors du château, loin de la civilité, dans l'épaisseur ténébreuse des bois. Ainsi, la fausse mort de la Belle (le sommeil de cent ans) et la vraie mort que lui prépare sa belle-mère partagent un lieu stratégique identique : l'univers inquiétant du bois. Si on revient à la référence mythologique évoquée par l'élégie à Cynthia de Properce, on remarque que Diane, déesse des bois, possède à la fois les attributs de la jeune Reine et ceux de la Reine Mère : elle aime certes chasser le cerf et le biche, mais on lui attribue aussi la mort soudaine des jeunes femmes qu'elle traque comme son gibier favori. [...]
[...] D'où la délicatesse du présent fait aux fées. On désigne le coffret d'or qui contient les couverts par le terme de cadenas L'insistance sur ce cadenas est marquée par la répétition littérale de l'expression étui d'or massif à quelques lignes d'intervalle. Si l'on ajoute que seuls les rois et les reines disposent d'un cadenas que l'on dépose sur la table au moment du repas, on mesure d'autant plus l'honneur que les parents de la princesse font aux sept fées et la déconvenue de la huitième, qui réagit de façon très humaine, voire très féminine, puisqu'elle est vexée la susceptibilité étant un des défauts traditionnellement attribué à la gente féminine). [...]
[...] ( Tension entre nature sauvage et culture délicate, la sauce Robert étant le symbole d'une cuisine éminemment culturelle. o La mort de la belle-mère Saisie d'une fureur sans bornes quand elle se rend compte de la supercherie, elle prépare un sacrifice généralisé : elle fait dresser une grande cuve pleine de crapauds et de serpents divers pour y faire jeter la reine et ses enfants, le maître d'hôtel, sa femme et sa servante. Le roi, comme il était arrivé au terme du sortilège des cent ans, arrive une fois de plus au bon moment, car il a eu la bonne idée d'emprunter un moyen de transport rapide : il était venu en poste précise le conteur, c'est-à- dire par diligence, système qui permettait au voyageur de changer de chevaux au moment opportun. [...]
[...] Cependant, le visage enluminé des gardes suisses et les gouttes de vin restées au fond des gobelets montrent que la vie continue sous la mort apparente, qu'ils ne sont qu'endormis. Après avoir traversé plusieurs chambres avec d'autres serviteurs endormis, il parvient devient le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu Le thème de la Belle endormie observée par un tiers est un cliché de la poésie amoureuse au moins depuis le poète latin Properce : dans un article intitulé De la belle endormie à la belle au bois dormant François Rigolot cite ainsi quelques vers de la fameuse élégie à Cynthia de Properce (livre II, élégie XXIX). [...]
[...] ( Prose et poésie sont intimement liées dans la rhétorique féerique, la prose de Perrault reprenant ici un thème de prédilection de la poésie lyrique. o De Basile à Perrault A la différence du roi cynique mis en scène dans le conte du Pentamerone de Basile intitulé le Soleil, la Lune et Thalie l'une des principales sources de Perrault, qui butine sans façon cette fleur endormie avant de repartir pour de nouvelles aventures, le prince charmant de Perrault se met respectueusement à genoux devant elle. [...]
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