Rappelons que la Tunisie représente depuis son indépendance en 1956, le seul Etat arabe moderne dont la législation s'inspire davantage du droit positif que de la Charia. La promulgation du code du statut personnel le 13 août 1956, cinq mois après l'indépendance du pays, qui vise l'instauration de l'égalité entre l'homme et la femme, interdit la polygamie, affirme le droit de la femme à l'éducation, à la santé et donne à la femme le droit de choisir son époux et d'entamer une procédure de divorce. Mais ces acquis socio- culturels qui font la spécificité de la Tunisie sont menacés aujourd'hui par un courant islamiste qui travaille en profondeur la société tunisienne.
Cette inquiétude devant l'avenir politique a amené beaucoup d'intellectuels tunisiens et en particulier des artistes comme Jalila Baccar que cette question du hijab concernait de près en tant que femme, à s'interroger sur les causes profondes de ce mal qui commence à ronger les valeurs de modernité et de tolérance sur lesquelles a été édifiée cette société. La pièce KHAMSOUN de Jalila Baccar s'inscrit dans le cadre de ce débat sur la relation de la société civile avec l'islam politique d'une part et sur la responsabilité du gouvernement dans la montée de l'islamisme et l'affaiblissement de la gauche progressiste d'autre part.
Ecrite par et créée en 2006, KHAMSOUN qui signifie en arabe « cinquante », a été composée à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance de la Tunisie. Elle prétend faire le bilan de l'expérience politique que le pays a vécue depuis son indépendance acquise en 1956, en se focalisant essentiellement sur deux périodes : les années soixante-dix marquées par la résistance des mouvements de gauche et les années quatre-vingt caractérisées par la montée de l'islamisme. Ce faisant, elle réagit, comme l'expliquent Jalila Baccar et Fadhel Jaibi, contre « la liesse commémorative et l'amnésie collective » avec lesquelles ce cinquantenaire a été fêté par le gouvernement tunisien, et propose une relecture de ce passé riche de ses « belles utopies égorgées dans le sang, étouffées dans l'oubli ». Elle invite ainsi le public à replonger dans l'histoire contemporaine de la Tunisie pour tenter de comprendre les modifications profondes et brutales qui ont affecté la société tunisienne, depuis les années 80, et dans laquelle les premières manifestations du terrorisme politique avaient commencé à se faire sentir.
[...] Ainsi, les policiers ne se contentent pas de faire l'enquête en veillant à respecter la procédure: ils injurient les deux jeunes femmes, les maltraitent, les humilient et devenus partie prenante dans l'action, ils accusent les deux jeunes femmes de vouloir faire de la Tunisie nouvel Irak" (p. 26). A Amel qui se plaint de n'avoir pas dormi depuis son arrestation et qui demande si elle peut téléphoner à son avocat, le policier Leith lui répond: " il y a pas d'avocat dans les affaires de terrorisme" . [...]
[...] I - Composition de la pièce La pièce, composée de trois actes et écrite en arabe tunisien a été publiée[5] en décembre 2007. Elle nous donne à lire un texte savoureux, aux tons variés, alliant ironie, lyrisme et poésie, et dont la lecture permet de mieux approfondir la connaissance des personnages et de leurs motivations profondes, de mieux apprécier les qualités du dialogue, du récit et des chants de célébrations quasi mystiques qui traversent la pièce et de saisir la signification de cette une mise en scène à la fois envoûtante et distanciée, qui a su conjuguer la réflexion politique avec un haut sens du spectacle. [...]
[...] Pour humilier Hanene, le policier lui pose la question "Tu es vierge (p. 55). En prison, la violence physique que subit Amel est mentionnée par l'avocate qui dans son rapport, demande que sa cliente, couverte de blessures et de bleus, soit examinée par un médecin, mais le rapport lui est arraché de la main par le policier. La répression policière dont sont victimes les jeunes islamistes rappelle à Mériem, la mère d'Amel, la répression et les persécutions que les militants de gauche et d'extrême gauche ont fait l'objet de la part de la police de l'Etat dans les années soixante. [...]
[...] Il l'informe aussi que l'amie de sa fille, Khédija a été arrêtée en France pour activités liées à un groupe terroriste. - Le second acte représente un retour en arrière qui décrit l'histoire d'Amel en soulignant son engagement politique, évoque les conditions dans lesquelles elle s'est rapprochée des milieux islamistes, et oppose ses convictions religieuses aux valeurs progressistes et laïques pour lesquelles ses parents se sont battus. L'évocation du parcours idéologique Amel est menée par deux comédiennes et la voix qui se relayent. [...]
[...] Il y a l'islam culturel auquel se réfère Jouda, le jeune professeur de chimie qui s'est fait exploser. Au policier Leith qui l'interroge sur les motifs qui ont poussé cette dernière à commettre cet attentat , Amel explique que Jouda était révoltée par la haine que l'Occident a vouée au monde islamique, désespérée par le déclin du monde arabe et qu'elle estimait que seule l'affirmation des valeurs islamiques pouvait assurer la renaissance de la nation arabe. C'est le système éducatif tunisien trop occidentalisé, d'après elle, qui a contribué à cette perte de l'identité culturelle des Tunisiens. [...]
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