Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889) fut surtout célèbre pour son dandysme. Aristocrate nostalgique de l'Ancien Régime, il critique son temps dans Les Œuvres et les Hommes, mais construit également une œuvre romanesque ancrée dans sa Normandie natale et souvent scandaleuse par sa peinture des mœurs : Une vieille maîtresse, L'Ensorcelée, Le Chevalier Des Touches, Un Prêtre marié, et les célèbres Diaboliques, recueil de six nouvelles dont la première, « Le Rideau cramoisi », a fourni l'extrait proposé.
Dans Les Diaboliques, Barbey d'Aurevilly présente six nouvelles où l'amour passionné et cruel dérange l'ordre rassurant de la moralité et de la société du XIXe siècle. « Le Rideau cramoisi » raconte comment un jeune soldat vécut sa première aventure amoureuse et la plus grande peur de sa vie : la mystérieuse fille de ses hôtes se donne à lui en cachette, et meurt lors d'une étreinte, l'obligeant à s'enfuir terrorisé. Devenu vieux, il en fait le récit durant un trajet en diligence, au moment où la voiture passe devant la fenêtre allumée de son ancienne chambre. Le thème de la fenêtre mystérieuse, qui annonce le drame, est introduit dans le passage où le narrateur, avant de recevoir la confidence de son compagnon de voyage, remarque l'étrangeté de ces lumières, aperçues fugitivement, mais qui restent dans la mémoire comme une interrogation propice à la rêverie. L'observation de la réalité cache l'imagination créatrice de la rêverie.
[...] Des contrastes se multiplient : entre la veille et le sommeil. La ville et les passagers ensommeillés contrastent avec le narrateur éveillé (première phrase), la sentinelle avec tous les autres êtres assoupis (deuxième phrase). L'opposition est accentuée par le nombre des dormeurs (la ville entière, la voiture pleine de gens tous les autres êtres et l'isolement du rêveur, de la sentinelle et de la fenêtre. La façade des maisons estompée par la nuit s'oppose à la fenêtre éclairée Entre la vie et l'absence de vie : ce contraste plus complexe ne laisse pas de place à la mort, remplacée par la forme atténuée du sommeil, ou de la fatigue : Rien de vivant s'oppose à qui dormaient dans la première phrase. [...]
[...] Cette dernière présence est à peine esquissée. L'imparfait de l'indicatif entendait voyait dormaient cherchait suspendait était exprime la répétition dans le passé. La deuxième phrase énonce une vérité générale sur le caractère imposant des veilleurs. Le présent de l'indicatif a renforcé par l'adverbe «toujours a ici sa valeur intemporelle, comme dans les proverbes ou les maximes. La troisième phrase présente les mêmes caractéristiques, vérité générale et présent intemporel fait indique ajoute mais déplace l'attention vers la fenêtre : la veille est impressionnante en toute circonstance, mais le mystère s'y ajoute lorsqu'elle se masque derrière une fenêtre. [...]
[...] Puis la ville apparaît couchée Pour évoquer les scènes cachées derrière la fenêtre, l'auteur choisit des termes abstraits, intimités et drames qui excitent l'imagination par la multiplicité des actions secrètes et par l'intensité des passions qu'ils suggèrent, plus que ne le ferait l'énumération de quelques anecdotes. Le veilleur suspendait à la fenêtre son regard et sa pensée Ici l'acte concret de suspendre qui évoque le tableau ou le portemanteau, s'effectue sur deux éléments abstraits. Même procédé avec l'expression accrocher [ . ] un monde de pensées». Est privilégié le thème de la fenêtre. [...]
[...] La présence de l'adverbe toujours et de termes génériques comme un être humain tous les autres êtres dans cette phrase centrale, montre que l'auteur dépasse la simple description pour livrer une réflexion plus large à partir d'une expérience banale. On retrouve d'ailleurs ici le présent de l'indicatif caractéristique des proverbes, des maximes et des vérités générales. L'absence de précisions temporelles ou spatiales dans le reste du texte, les adjectifs indéfinis quelque rêveur ; quelque fenêtre contribuent à cette volonté d'énoncer une expérience universelle. Le vocabulaire presque pauvre, les répétitions nombreuses et la banalité de la scène ne doivent donc pas cacher l'observation attentive de la réalité, dont les contrastes offrent une certaine poésie. Mais l'auteur va plus loin. [...]
[...] La cité est une de ces petites villes aux mœurs réglées et simples que l'on trouve partout en province. Nous ne saurons rien de plus, sinon qu'elle est endormie La voiture n'apparaît qu'à travers la vitre de son compartiment La fenêtre se contente d'appartenir à la façade des maisons d'être éclairée d'avoir des rideaux baissés Le moment est peu précis : la nuit à une heure avancée ; les personnages sont peu caractérisés : la voiture est pleine de gens qui dormaient sans précision sur leur identité ni description de leur apparence. [...]
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