C'est à Prague, à la fin de l'année 1909 que Kafka, écrivain juif de langue allemande, commence à rédiger son Journal. Jusqu'en 1923, l'écrivain va remplir treize cahiers de grand format. Ces derniers s'avèrent être d'une importance essentielle pour la connaissance de l'œuvre et de la personne de l'écrivain qui demandait à la littérature plus qu'elle ne pouvait lui donner et se posait comme extrêmement intransigeant envers elle. Ces pages intimes éclairent le lecteur sur la difficulté du métier d'écrivain et les souffrances qui peuvent en découler. Différent d'un roman de formation, le Journal ne raconte pas l'histoire d'une vocation littéraire dans ce sens qu'il ne fait pas état de l'enfance d'un personnage, de ses premiers pas en littérature ainsi que de la révélation de son génie artistique. Il ne condense que treize ans de la vie de Kafka. Nous ne devons pas non plus chercher au sein de ces écrits un document d'époque, des anecdotes, des jugements sur les contemporains ou une quelconque peinture de mœurs. Kafka note les uns derrière les autres les événements de sa vie, ses réflexions ainsi que d'innombrables ébauches de récits. Notons également que l'auteur se soucie fort peu de la chronologie en composant son Journal. Il commence un cahier, le délaisse, en entame un autre.
[...] Tout ce qui n'est pas littérature lui est détestable. C'est l'image de l'écrivain solitaire, incompris, enfermé dans sa singularité qu'offre le Journal. Mais cette souffrance s'avère peut-être indissociable du métier d'écrivain. Le génie poétique qui oblige à voir le monde différemment conduit Kafka à haïr la société matérialiste qui l'entoure. Il ne doit avoir aucune contrainte, aucune obligation pour parvenir à créer. Etrangère au commun des mortels, sa passion destructrice des mots, son dur labeur le conduisent à, en quelque sorte, s'exiler. [...]
[...] L'insomnie sera le premier fléau de sa vie. Les épreuves de la nuit le rendent nerveux, irritable et désagréable avec ceux qui l'entourent : Si peu et si mal que j'écrive, il n'en reste pas moins que ces petits ébranlements m'éprouvent ; je sens, particulièrement vers le soir et plus encore le matin, le frémissement, la proche possibilité de grands états exaltants qui ouvriraient tout mon être et me rendraient capable de tout. Je n'ai pas le temps de me rendre maître, aucune possibilité de repos Kafka est conscient de son génie mais les mots ne viennent pas sur le papier. [...]
[...] Je crois que c'est ce dessin qui représente le mieux la condition de l'écrivain Kafka. Peut- être l'homme s'auto-illustre-t-il ? Le dessin pourrait aussi jouer le rôle d'une écriture hiéroglyphique expression à la fois de Freud et de Kafka qui représenterait l'autre scène celle de l'inconscient. Les manuscrits d'écrivain dont Kafka offre ici un exemple soulèvent sur le parcours des mots des floraisons de signes qui défont la continuité de l'écrit. Ceux de Proust, accompagnés aussi de dessins et de griffonnages variés (Sollers et Nave 1999), posent la même problématique. [...]
[...] Probablement pas. Le Journal fait état de visites au bordel à Milan ou encore à Paris. Cependant, en décembre 1911, exprime son absence de désir : Autrefois, écrit-il, je ne parvenais pas à m'exprimer librement avec des personnes dont je venais de faire la connaissance, parce que j'étais inconsciemment gêné par la présence de désir sexuel, maintenant c'est l'absence. Ces quelques mots offrent l'image d'un écrivain dont tous les désirs et les projets sont annihilés par l'obsession de l'écriture et notamment la rédaction de ce Journal à travers lequel il espère retrouver son inspiration. [...]
[...] La rédaction du Journal fera l'effet inverse. La connaissance de soi-même passe par une destruction. Je suis de pierre, je suis ma propre pierre tombale. L'écrivain ou la perpétuelle remise en question du langage En décembre 1910, Kafka écrit : Le centre de tout mon malheur, c'est que je ne peux pas écrire, je n'ai pas écrit une seule ligne que je puisse accepter Ecrivain maudit, il n'arrive pas à mettre sur papier ce que son esprit foisonnant lui dicte. [...]
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