Nous avons dit au cours que cette pièce montrait l'impossibilité de parler de la religion. J'ai cependant cherché à montrer qu'elle était traversée de différents rapports à la divinité.
1) La doctrine protestante
Il m'a d'abord semblé que l'on retrouve dans cette pièce un rapport à la divinité spécifiquement protestant. En effet, nous avons vu au cours que la divinité y était présentée comme énigmatique. Or, dans son syllabus d'Histoire des temps modernes, Guy Philippart présente le protestantisme comme suit (...)
[...] Il la désigne comme victime émissaire quand il lui dit : Octavian [à Cléopâtre] N'est-il pas clair que vous tâchiez de faire Par tous moyens César votre adversaire, Et que vous seule, attirant votre ami, Me l'avez fait capital ennemi, (vers 772-775) D'autre part, on a bien un sacrifice parce qu'il s'agit de donner un beau spectacle au peuple, comme le dit Charmium dans le deuxième extrait. Charmium Que, dans trois jours préfix, cette douce contrée Il nous faudra laisser pour à Rome menées Donner un beau spectacle à leurs efféminées. (vers 1204-1206 Cléopâtre est également une victime précieuse. Et le triomphe est bien un rituel qui met fin à la violence et rétablit un ordre nouveau. C'est aussi une fête Girard a beaucoup parlé de cet aspect de fête sacrificielle. Mais ce qui nous intéresse surtout ici, c'est la mise à plat du mécanisme victimaire. [...]
[...] Si les hommes réussissent tous à se convaincre qu'un seul d'entre eux est responsable de toute la mimesis violente, s'ils réussissent à voir en lui la souillure qui les contamine tous, s'ils sont vraiment unanimes dans leur croyance, cette croyance sera vérifiée car il n'y aura plus nulle part, dans la communauté, aucun modèle de violence à suivre ou à rejeter, c'est-à-dire, inévitablement, à imiter et à multiplier. En détruisant la victime émissaire, les hommes croiront se débarrasser de leur mal et ils s'en débarrasseront effectivement car il n'y aura plus, entre eux, de violence fascinante. Donc on voit que la communauté est dans l'ignorance du mécanisme qui sous-tend ses pratiques. C'est d'ailleurs grâce à cette ignorance que le mécanisme victimaire fonctionne. [...]
[...] Or, dans son syllabus d'Histoire des temps modernes, Guy Philippart présente le protestantisme comme suit : [Luther] affirme que l'homme est incapable d'obtenir son salut éternel par des moyens humains. Seule sauve la grâce de Dieu en qui il faut se remettre avec foi. ( ) Le protestantisme implique un radicalisme religieux, puisque les efforts de l'homme sont sans valeur aux yeux de Dieu. ( ) [Le protestantisme] affirme l'inégalité foncière des individus, dont le destin est prédestiné par Dieu. [...]
[...] (vers 381-382) Cléopâtre Tout le Destin, comme il m'est ennemi. (vers 1054) Seleuque Pareille aux dés est notre chance humaine (vers 1164) Cléopâtre Si Antoine n'eût eu des cieux l'inimitié, (vers 1282) Je n'ai cependant pas voulu conclure que le texte tendait plutôt du côté du protestantisme, au niveau religieux, parce qu'il m'a semblé que ce texte était en fait traversé d'éléments hétéroclites en ce qui concerne le traitement du divin. J'y ai vu un rapport tragique aux dieux et j'y ai également perçu un rapprochement à faire avec le christianisme dans son ensemble. [...]
[...] (vers 554-563) En fait, il s'agit de traîner Cléopâtre dans Rome afin qu'elle concentre la haine de la cité et que toute la faute ne repose plus que sur elle, pour ensuite pouvoir oublier la violence et les malheurs de cette guerre. Cependant, Cléopâtre se donne la mort, pour échapper au triomphe. A ce moment-là, les personnages ne sont plus dans la méconnaissance du mécanisme victimaire, puisqu'ils prennent conscience que, sans ce triomphe, leurs conflits intérieurs ne seront pas résolus. Et la pièce se termine sur un renvoi de chacun à sa propre culpabilité. [...]
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