Au-delà de la fiction naïve, Le Jeu de la Feuillée semble ancré dans les profondeurs de l'inconscient, collectif et particulier, qu'Adam de la Halle tente de percer à jour. Il a fallu attendre sept siècles pour que Freud et Jung nomment, découvrent et sondent ce domaine mais il n'en reste pas moins qu'il fait partie intégrante de l'homme depuis toujours. Certains, plus aptes que d'autres à l'introspection comme cet intellectuel de l'époque médiévale, ont pu ainsi procéder à une autoanalyse qui rejoint une forme d'exorcisme. Car les démons accusés de tous les maux au Moyen Âge ne sont-ils pas avant tout nos propres vices intérieurs, manques et faiblesses ? Exorciser, au sens figuré, signifie « se délivrer d'un sentiment, se soustraire à une influence ; il s'agit donc de recouvrer sa liberté. Et quoi de plus pertinent pour cela que de procéder à l'analyse de sa psyché afin de mieux se libérer de certains schémas répétitifs et autres déterminismes qui pèsent sur nous ?
C'est dans cette perspective que nous analyserons Le Jeu de la Feuillée, accordant à Adam de la Halle un domaine bien plus vaste que celui d'une unique représentation, fort distrayante au demeurant, la profondeur sous-jacente n'empêchant pas le rire du premier degré.
[...] Un enfer qui gardera Adam prisonnier. L'exorcisme aurait-il mal tourné ? L'auto-analyse ne suffit-elle pas pour se libérer de l'amour, de la vie facile aux plaisirs fallacieux et de l'ivresse trompeuse, Lui faudra-t-il toujours conserver ce Maistre Adam li Bochus ? (In Le Jeu des Pèlerins). Cette malformation physique est le symbole d'une différence et signe l'étrangeté. Adam se croit-il ainsi marqué par un destin cruel auquel il tente vainement d'échapper ? A bien relire la féerie on s'aperçoit en effet qu'Adam détourne l'enchantement, autre superstition : les fées attendues s'égarent et s'attardent, annonce Dame Douce (vers 849 et suivants) ; les voilà qui entrent dans le spectacle organisé par Adam. [...]
[...] L'amour signifie la perte des forces physiques, spirituelles et intellectuelles (vers 31 à 33) qu'Adam veut consacrer aux études et à la poésie car il sait que qu'il est un bon faiseur de chansons selon le vœu d'Arsile qui, comme à sa naissance, se penche sur lui. Arsile est un des visages de la féminité dont le poète veut se libérer désormais : Arsile ou argile ? Gaïa, Terre-Mère, Déméter. C'est la génitrice abhorrée, représentée également par Dame Douce. Adam veut quitter son épouse avant de la rendre grosse. [...]
[...] Mais la beuverie générale exclut deux personnages ridicules, le moine et le fou. Si Adam veut bien se caricaturer et accepter sa défaite, il n'en reste pas moins qu'il rejette ceux qui sont incapables de prendre de la distance avec eux- mêmes et, ainsi, de se connaître. Car Adam veut bien reconnaître son alcoolisme mais non pas sa folie ou sa superstition : le voilà libéré de deux démons. Du reste, tout espoir en l'avenir n'est pas perdu ; la fée Maglore n'a-t-elle pas remis son voyage à plus tard ? [...]
[...] Mais las, Maglore, furieuse d'être sans couteau, se venge et décrète qu'Adam n'ira pas à Paris et continuera à s'encanailler. Fatalité et déterminisme chez Adam ? Plutôt tentative de dérision de ces contes de bonnes femmes auxquels croient ses contemporains, croyances qu'il cherche précisément à exorciser en lui en les mettant en scène d'une manière très moderne, manière sans doute passée inaperçue à cette époque. Restent donc la taverne, la folie et l'enfer. Mais là encore, tâchons de percer à jour le dessein secret d'Adam. [...]
[...] C'est ainsi que la représentation joue pleinement le rôle de catharsis à travers sa valeur festive qui propose une transgression libératrice. Il faut noter que ce Prologue, par sa forme même, est mis en valeurs par les alexandrins qui appartiennent au rythme lyrique du Congé, genre bien établi : c'est bien la personne Adam qui vient prendre congé avec le mot Segneur de ses amis, de la ville d'Arras, de lui-même enfin. Car il reconnaît avoir été enchanté et avoir souffert de grant maladie Cette maladie ou cet envoûtement peut se résumer en trois grands axes : l'amour, la vie oisive menée à Arras qui entraîne l'enivrement et la folie qui le guette. [...]
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