En 1778, Rousseau meurt en laissant, entre autres écrits posthumes, Les Confessions, dont les six premiers livres ont été rédigés entre 1765 et 1767, et les six suivants entre 1769 et 1770. Conçue comme un plaidoyer, dans un esprit polémique, l'œuvre a en définitive révolutionné le genre autobiographique, en instaurant un regard nouveau, pré-psychanalytique, sur l'enfance et le moi.
L'extrait du livre IV que nous nous proposons aujourd'hui d'étudier fait écho au préambule de l'œuvre dans lequel Rousseau affirmait dès la première phrase, sa volonté de se peindre « exactement d'après nature et dans toute sa vérité ». Ici, l'auteur éprouve manifestement le besoin de marquer une pause dans le récit des aventures de sa première jeunesse qui couvrent une période d'environ vingt ans. Jean-Jacques se trouve alors à un tournant de sa vie : après deux années d'errance pendant lesquelles il s'est livré à toutes sortes d'« extravagances », il va quitter sa « folle jeunesse » pour travailler et mener une vie réglée auprès de Mme de Warens qu'il vient de retrouver. Alors, l'auteur interpelle à nouveau le lecteur dans l'optique de faire un bilan et de solliciter son jugement.
Dans ce passage, nous distinguons trois parties. Rousseau insiste d'abord sur l'importance de l'enfance dans la formation de la personnalité puis sur la totale transparence dont l'écrivain doit faire preuve pour que, enfin, le lecteur soit un juge impartial.
Au fil de notre brève analyse, nous reviendrons donc sur cette découverte progressive du moi, cette obsession de la transparence et sur le rôle précis du lecteur ; afin de rejoindre la problématique centrale de l'extrait : la sincérité de l'écriture de soi est-elle possible ?
[...] Il y a chez Rousseau cette volonté de placer le lecteur au cœur de l'intimité de l'être humain, intus et in cute, pour cela il revient dans cet extrait argumentatif sur le rôle fondamental du passé et de la mémoire dans sa construction personnelle. Les références à l'enfance sont omniprésentes. Le champ lexical de la jeunesse domine tout le début du texte : première jeunesse puéril né enfant dans ma jeunesse les premiers traits les premières causes et montre combien l'auteur insiste sur l'importance déterminante des premières années de la vie, le passé le plus lointain étant celui qui a le plus d'influence Il se présente une fois de plus comme un être innocent et sensible qui a gardé son regard d'enfant : quoique né homme à certains égards, j'ai été longtemps enfant, et je le suis encore à beaucoup d'autres. [...]
[...] La mise en forme pudique mais surtout esthétique du souvenir ne contient-elle pas une vérité supérieure de l'être ? C'est pourquoi en revenant sur l'importance de l'enfance, de la transparence et d'un lecteur- juge, l'auteur nous raconte d'avantage l'histoire d'une conscience que celle d'une existence. Nous conclurons enfin sur ces paroles de Maurice Blanchot : [ ] Rousseau fait une découverte qui l'aide dangereusement. La vérité de l'origine ne se confond pas avec la vérité des faits : au niveau où elle doit se saisir ou se dire, elle est ce qui n'est pas encore vrai, ce qui du moins n'a pas de garantie dans la conformité avec la ferme réalité extérieure. [...]
[...] Sable, poussière, craie, peut-être, éventrés à la manière d'un Tàpies ! Mes idées sont en images allitération en assonance en symétrie Rousseau se fait à la fois peintre et musicien, créateur d'images de l'esprit. L'écriture de soi est par conséquent le lieu d'une expérience immédiate, tout prend vie dans l'instant ou dans l'éternité du souvenir. Cependant, la découverte et la divulgation du moi n'est possible sans une recherche de l'authenticité, il faut trouver le moyen d'élaborer un discours d'un type nouveau pour que la transparence de l'âme de Jean- Jacques devienne transparente à autrui : je voudrais pouvoir en quelque façon rendre mon âme transparente Le conditionnel sous-entend une difficulté, mais la notion de vérité prend une importance capitale. [...]
[...] Le lecteur est de plus nommément désigné, toujours à la troisième personne du singulier : lecteur lui il lui-même etc. Si dans le pacte autobiographique, il était l'Accusé, l'Etre à part et exceptionnel, ici il rétablit une relation dite normale il n'y a plus de mise en scène mais une demande de jugement, qui devient une fin Le lecteur passe du simple témoin au juge, il devient acteur à part entière, c'est à lui placé en début de phrase insiste sur l'investissement qu'il lui est demandé: C'est à lui d'assembler ces éléments et de déterminer l'être qu'ils composent Si Rousseau accepte le jugement moral c'est qu'il a déjà avoué. [...]
[...] Le souci de Rousseau est d'y deviner une permanence, voire une histoire cohérente. L'auteur place alors la mémoire sur un piédestal: les objets font moins d'impression sur moi que leurs souvenirs par la métaphore filée du tableau et de la gravure, il nous donne poétiquement à voir une personnalité en perpétuelle évolution comme une peinture qui s'enrichit touche après touche : «les premiers traits qui se sont gravés dans ma tête y sont demeurés, et ceux qui s'y sont empreints dans la suite se sont plutôt combinés avec eux qu'ils ne les ont effacés. [...]
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