Lac n'est pas, à première vue, d'une singularité frappante. Le roman d'Echenoz nous entraîne sans ménagement dans l'univers du roman policier ; c'est en quelque sorte un stéréotype du genre. En effet, Lac rassemble des éléments incontournables du roman policier/d'espionnage, à commencer par les personnages qu'il met en scène.
L'intrigue principale tourne autour d'un agent double : Franck Chopin, à la fois scientifique spécialisé dans l'étude des mouches et agent spécial des renseignements (...)
[...] Mais encore, Lac nous étonne quelques fois par son art des métaphores et par la finesse de sa poésie. Une grande place à la poésie En effet, le nombre important de métaphores ne peut pas échapper au lecteur du Lac : C'était un matin frais de grande banlieue, l'air vif était léger comme une salade, sec et limpide comme du vin blanc, il découpait très nettement les façades et se posait en douceur sur les toits Souvent, les métaphores renchérissent sur le burlesque : Bientôt, on distinguait le large corps vieux rose du Parc Palace, tassé sur lui-même et légèrement voûté, rassurant comme un milliardaire bon ou encore, très amusant, près des portes un groom aidait une vaste cliente à enfiler sa fourrure : quoique dressé sur la pointe des pieds, il procédait avec souplesse et savoir-faire, comme s'il montait une tente en même temps qu'il langeait un nourrisson La plupart des métaphores utilisées n'exposent pas vraiment un lexique poétique, et pourtant, lorsqu'il parle d'amour, Echenoz laisse sa plume emprunter le chemin de la poésie. [...]
[...] À passer sa vie à observer des spécimens dans des cages de verre, Chopin a acquis quelques réflexes utiles: acuité des sens, patience, capacité de concentration, goût du détail et de la vérification ou encore art de l'inventaire et du rapport circonstancié. Alors lorsque le colonel Seck lui transmet une mission, c'est bien volontiers que Chopin troque sa blouse de scientifique et son appartement miteux pour des séances d'espionnage dans une chambre du Parc Palace du Lac. Là, il met au point des micro-espions qu'il obtient par la greffe d'un microphone sur la poitrine de ses sujets d'études. Franck Chopin est un héros de roman d'espionnage assez typique : astucieux, malin, observateur et qui plaît aux femmes. [...]
[...] Ce qui est marquant dans le roman, c'est l'obsession des moyens de transport : bus, métro, train mais surtout voitures. Lac nous offre la description des firmes automobiles des Champs-Élysées : dans les halls d'exposition stationnent leurs derniers prototypes dressés sur pneus neufs, fauves sculptés à l'arrêt ( Opales dans leur écrin, sous les capots miroitent les blocs moteurs, les douze cylindres en les poussoirs hydrauliques, les carburateurs double corps verticaux inversés Plus troublant, tout au long du roman, le narrateur exprime la présence des personnages par l'identification de leur automobile : ainsi, l'agent secret Franck Chopin roule dans un pâle coupé allemand carrossé Karmann- Ghia Vito Piranese, un subalterne, le suit dans une petite Ford automatique pourpre le colonel Seck, lui, travaille dans une grosse Opel dont l'odeur à l'intérieur de l'habitacle était l'accord parfait du rhum des îles avec le bois des îles et le déchet de havane l'ambulance du docteur Belsunce est une CX blanche Mouezy-Eon conduit une R8 à bout de force quant à la longue auto noire de Maryland, le boss, il faut aller fouiller les étendues immenses au-delà de l'Atlantique et du Dniepr pour découvrir des limousines de ce format L'omniprésence des marques d'automobiles souligne le phénomène des classes sociales que l'on peut déterminer selon la voiture dans laquelle l'individu en question roule, mais c'est aussi une manière de rappeler l'étalage des richesses et la priorité au matériel et aux apparences. [...]
[...] Franck Chopin est le protagoniste le plus discrédité du roman. Après l'avoir fait passer pour un agent double aiguisé, le narrateur dévoile quelques aspects moins honorables du héros : ce n'est plus alors qu'un simple technicien dépourvue de professionnalisme. En effet, il lui arrive de mélanger travail et sentiments : au chapitre 18, Chopin ne révèle pas l'identité de la bonne femme (en réalité Suzy) dont le colonel veut obtenir des renseignements et se contente de répondre une pute comme on pensait Après tout on s'attache au client De surcroît, Chopin récupère des mouches dans les poubelles du pavillon des abats afin d'en faire des espions volants : Chopin se pencha, se tint immobile six secondes sans respirer, puis vive comme une crampe sa main droite fendit l'air impur ( La boîte à gant contenait toujours une petite cage en gaze de laiton, Chopin y fit entrer les mouches en les comptant, l'une après l'autre comme dans un corral : sept d'un coup. [...]
[...] 3EME PARTIE : ECHENOZ, ARTISTE DU DIALOGUE Sous la plume d'un artiste du dialogue Echenoz est sans conteste un grand écrivain ; mais ici, c'est d'un grand artiste dont il faudra parler, d'un artiste du dialogue. En effet, l'auteur du Lac semble jouer avec les styles de discours, conservant la forme classique du discours direct, se détournant parfois vers le discours indirect mais surtout glissant avec finesse du discours indirect libre au sein de son récit. Pour illustrer la partie de discours direct, prenons pour exemple la conversation du chapitre 8 entre Chopin et le colonel Seck : Bon, se reprit le colonel. C'est lui, le type. [...]
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