Un aphorisme dit: « Le pessimiste, c'est ce que devient l'optimiste avec l'âge ». Effectivement, l'optimisme va bien avec la jeunesse. Pendant cet âge d'or, les grands malheurs sont brefs, et les petits ne méritent pas notre attention; « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » ! Et puis, un jour on s'aperçoit que ce bonheur, quoiqu'il nous soit toujours aussi cher au cœur, on ne l'envisage plus sérieusement comme un avenir possible mais plutôt comme un doux rêve du domaine du merveilleux. On essaie de communiquer cette précieuse découverte aux autres: c'est « la quête de la vérité ». Ainsi, la vérité consiste en cela de dire aux gens qu'il n'y a pas de bonheur possible.
Voilà ce que dit un critique à propos de la pensée du XVIII siècle: « Elle ne cesse jamais de poursuivre deux quêtes: l'une vers le bonheur; l'autre, qui lui est plus indispensable encore, et plus chère, vers la vérité ».
Déjà, avec cette déclaration, le critique oppose les deux notions, et la quête de la vérité semble être le contraire de la quête vers le bonheur. Sont-elles vraiment incompatibles ? Est-ce que le bonheur est possible dans la société ? Et est-il possible aussi pour celui qui ose défendre la vérité ?
Nous allons chercher la réponse de ces questions dans une œuvre du XVIII s.: l'Ingénu de Voltaire. Nous verrons d'abord la critique d'une société; nous parlerons ensuite de l'ironie en tant que moyen de dire la vérité; nous verrons enfin l'ambiguïté de la leçon tirée.
[...] La Ville est dirigée par des grands et de demi-grands qui sacrifient si facilement la liberté des hommes et l'honneur des femmes Et Mlle de St-Yves veut se jeter aux pieds du roi quand il va à la messe ou à la comédie ! Peu à peu, elle se rend compte qu'en fait, Paris n'est qu'une énorme comédie cachée sous l'apparence d'une messe. La quête du bonheur devient à ce moment impossible pour elle. Il n'y a donc point de loi dans ce pays ? s'exclame l'Ingénu. [...]
[...] Seulement, la fin de ce dernier nous montre que, hélas, il n'en est pas ainsi. En fin du compte, comment aboutit la quête des personnages vers le bonheur ? Mlle de St-Yves perd sa vie dans une lutte avec des moulins à vent. Ce qui lui arrive est le contraire d'une initiation où le héros finit par s'intégrer à la société. Justement, il lui est impossible de s'intégrer dans une pareille société. C'est peut-être le personnage le plus touchant du livre, qui paye le plus cher les fautes commises par les autres. [...]
[...] L'Ingénu, lui, survit, mais à quel prix ? C'est l'Ingénu qui n'était plus l'ingénu qui a perdu son originalité et est devenu comme tous les autres. Il s'est intégré dans la société mais sa quête du bonheur a échoué. Uniquement Gordon s'est bien tiré de l'affaire ; lui, a gagné sa liberté sans rien perdre. Voilà pourquoi ce n'est pas étonnant qu'il dise Malheur est bon à quelque chose à la fin du conte. Il veut dire par là probablement que le malheur des uns fait le bonheur des autres. [...]
[...] Voltaire les critique, mais avec un sourire indulgent. Ce n'est pas le cas lorsqu'il parle de Paris et de Versailles. A la capitale, chaque vice se dédouble, les petits pécheurs deviennent des monstres, l'hypocrisie, l'arrivisme et la lâcheté atteignent des hauteurs inouïes. C'est à la capitale que Voltaire critique vraiment la société, et c'est une critique impitoyable parce qu'elle frappe tous les domaines. Rien n'est épargné : ni l'éducation (rappelons-nous le grand nigaud de fils qui sortait du collège ou bien, les lieux de formation des deux protagonistes : l'intellect de l'Ingénu atteint son épanouissement dans la prison, et les connaissances de Mlle de St-Yves sur l'amour et les amants, y compris sur ce qu'il faut faire pour s'évader de la maison, viennent des livres qu'elle a lus en cachette dans son couvent ni la médecine (c'est un docteur qui cause la perte de la jeune fille en prescrivant un médicament à la mode : la mode jusque dans la médecine ni la religion. [...]
[...] Nous verrons d'abord la critique d'une société ; nous parlerons ensuite de l'ironie en tant que moyen de dire la vérité ; nous verrons enfin l'ambiguïté de la leçon tirée. Le conte philosophique a pour but de dire d'une façon amusante et agréable les conceptions philosophiques de son auteur et sa vision du monde. L'Ingénu en est un, et son genre s'accorde parfaitement avec l'opinion de Voltaire à propos de la fonction de l'écrivain. J'écris pour agir dit-il, ce que signifie J'écris pour changer Changer tout ce qui est injuste, mauvais et laid ; démontrer les vices de la société afin de les transformer. [...]
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