Après son voyage en Italie de l'été 1850, dans lequel il visita Venise, Florence, Rome et Naples, Gautier publia, deux ans plus tard, Italia. Les impressions concernant l'étape napolitaine ne furent jamais écrites dans ces notes, mais ce sera chose faite, si l'on peut dire, dans l'œuvre de fiction. En effet, deux nouvelles seront consacrées à l'Italie, et plus précisément à Naples : Arria Marcella et Jettatura, publiées successivement en 1852 et 1857. Deux nouvelles qui, de manière plaisante, se font écho, chacune rappelant l'intrigue de l'autre : Jettatura évoque l'empreinte dans la cendre du torse d'une jeune Pompéienne, tandis qu'Arria Marcella rappelle les croyances occultes qui constituent le sujet de Jettatura. Le choix du cadre italien s'inscrit dans un contexte littéraire qui fait la part belle à l'Orient méditerranéen, mais il participe aussi au projet particulier de Gautier qui n'a eu de cesse, toute sa carrière durant, de pratiquer le genre fantastique. Ne privilégiant ni l'angle du témoignage, ou des choses vues, ni l'angle de la réflexion philosophique, Gautier insère la thématique italienne dans l'esthétique codifiée du fantastique.
C'est donc la rencontre - parfaitement légitime d'ailleurs puisque tout comme le fantastique, l'Orient méditerranéen met en scène un ailleurs, une étrangeté -, entre un genre et un espace qui fera l'objet de notre étude. Il s'agira d'examiner le rapport entre l'exotisme et l'intériorité, mais aussi entre l'autre (spatial, individuel, culturel ou religieux) et le moi, et entre la réalité et le rêve dans le fantastique italien de Gautier. Et plus particulièrement à travers la notion d'image, qu'il s'agisse d'une vue ou d'une vision - voire même d'un mirage - ou bien d'un regard, ou encore de l'imagination.
[...] Les croyances occultes sont vaincues de manière tout à fait systématique à la fin de chaque nouvelle. Ainsi, la fin d'Arria Marcella marque le triomphe de la religion chrétienne sur le vampirisme et surtout sur le paganisme : Un vieillard d'aspect sévère et drapé dans un ample manteau brun parut sur le seuil. Sa barbe grise était séparée en deux pointes comme celle des Nazaréens, son visage semblait sillonné par la fatigue des macérations : une petite croix de bois noir pendait à son col et ne laissait aucun doute sur sa croyance : il appartenait à la secte, toute récente alors, des disciples de Jésus. [...]
[...] C'est-à-dire la modification de l'Orient par la mélancolie romantique à l'Occidentale. Le fantastique peut donc être interprété comme la projection de l'intériorité d'Octavien, la projection de ses désirs[9]. C'est pourquoi le décor est à la fois familier et étranger. Paysage intérieur, paysage état d'âme, le décor, inconsistant, prend la forme d'une vision. Qu'il relève d'une esthétique de la fantasmagorie ou du fantastique, l'espace italien est plus imaginaire que réel. C'est d'abord dans la description du paysage qu'apparaît le fantasme de l'Orient. [...]
[...] La technique de l'estompage passage mentionne le terme- élève ce tableau au rang de fantasmagorie. Esthétique romantique et fantasmagorie Mais plus encore que l'arabesque, c'est l'esthétique romantique qui crée cette dimension fantasmagorique, transfigurant le paysage par des jeux d'ombre et de lumière : La lune illuminait de sa lueur blanche les maisons pâles, divisant les rues en deux tranches de lumière argentée et d'ombres bleuâtres ( L'on ne remarquait pas, comme à la clarté crue du soleil, les colonnes tronquées, les façades sillonnées de lézardes, les toits effondrés par l'éruption ; les parties absentes se complétaient par la demi-teinte, et un rayon brusque, comme une touche de sentiment dans l'esquisse d'un tableau indiquait tout un ensemble écroulé. [...]
[...] Encore une marque de la dimension romantique de l'Italie de Gautier. Le procédé d'extension était déjà présent dans Fortunio, récit dans lequel l'image de l'Eldorado dérive sur le mythe de la Conquête de l'Amérique latine, et dans lequel l'Orient peut s'identifier au globe tout entier. Introduction aux Récits fantastiques de Gautier, p.37-38. On est clairement dans l'hubris tragique et les mythes grecs comme celui de Prométhée. Ce qui est typique du questionnement romantique. Tout est fait, dans ce début, pour assimiler la beauté féminine d'Arria Marcella à la beauté du Vésuve, (même fertilité, même grâce), comme si la créature était le produit de ce lieu sensuel et fécond. [...]
[...] Victime et bourreau comme l'avait été Œdipe, le héros de Jettatura est, comme lui, étranger. Il n'appartient ni à la civilisation occidentale qu'il quitte, ni à la civilisation orientale qui le rejette pour son infirmité comme dans la pièce de Sophocle donne son nom à l'œuvre[16]. Et il est étranger à lui-même car il ne connaît pas son pouvoir mortel. Etranger, il est le phénomène fantastique par excellence et, comme Œdipe, il est condamné à l'errance. Celle-ci s'achèvera, tout comme le destin d'Œdipe avait commencé, par une chute volontaire- depuis une falaise. [...]
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