Le souci du réalisme en littérature semble permettre à l'auteur de puiser dans la réalité de quoi nourrir son œuvre afin que celle-ci soit « reconnue » par le lecteur. Ainsi Balzac écrit-il, dans le Père Goriot : « Après avoir lu les secrètes infortunes du Père Goriot, vous dînerez avec appétit en mettant votre insensibilité sur le compte de l'auteur en le taxant d'exagération, en l'accusant de poésie. Ah ! Sachez-le : le drame n'est ni une fiction, ni un roman. All is true, il est si véritable que chacun peut en reconnaître les éléments chez soi, dans son cœur peut-être. »
[...] Mais on ne trouvera rien sur cette voie qui puisse éclairer d'une manière essentielle le phénomène du roman historique. Les prétendus romans historiques du XVIIe siècle ne sont historiques que par leur choix purement extérieur de thèmes et de coutumes. Ce qui manque au prétendu roman historique avant Walter Scott, c'est justement ce qui est spécifiquement historique : le fait que la particularité des personnages dérive de la spécificité historique de leur temps. Balzac est l'écrivain qui développe de la manière la plus consciente la formidable impulsion que le roman a reçue de Scott, et de cette façon il crée le type nouveau, jusqu'alors inconnu, du roman réaliste. [...]
[...] Enfin, si la réalité du vrai est rendue possible dans la fiction, la littérature peut-elle s'allier à l'histoire ? Balzac défend ardemment le souci de réalisme dans son jugement extrait du Père Goriot. Ceci l'inscrit de fait dans le courant réaliste de son temps, le 19e siècle, mais ne se conforme pas pour autant à la réalité qu'il prétend rendre avec fidélité. Réaliste, Balzac privilégiait les histoires dites réelles et vécues, de même que les personnages aux sentiments vraisemblables. Leur milieu économique et social est décrit avec minutie et une volonté d'objectivité nourrie par une importante documentation. [...]
[...] L'illusion réaliste peut permettre d'opposer le vrai au romanesque, mais elle n'annihile pas pour autant les aspects fictifs de l'œuvre. Il s'agit surtout de brouiller les pistes entre une œuvre qui se veut anti-romanesque et l'histoire de personnages qui progressent au fil des pages. Le réalisme ou le parti-pris du vrai tel que décrété par l'auteur sont donc des jeux de ruptures autour de l'illusion romanesque, qui fragmentent celle-ci et lui donnent sa cohérence tour à tour. Ainsi Diderot, dans Jacques le Fataliste, oscille-t- il sans cesse entre roman d'apprentissage et anti-roman, et si l'émotion du lecteur est sans cesse stimulée, sa réflexion est bousculée par différents rebondissements propices à le désarçonner. [...]
[...] A l'origine du travail de l'auteur, il y a cette réalité politique et économique de son temps. Sans que celui-ci la rende entièrement pour autant. La narration choisie par Balzac se veut elle-même objective, neutre. Elle est étayée de faits vraisemblables, mais pas forcément vrais et met en œuvre le réalisme comme technique littéraire façonné de vraisemblance. Sous couvert de lucidité, le romancier donne au récit son unité, et puis sa légitimité, avec pour ambition d'expliquer la société qu'il dépeint, décrit sans négliger aucun détail, minutieusement. [...]
[...] Avec ironie, l'auteur peint une satire de la société dans ce qu'elle par exemple, d'hypocrite. Hypocrisie que tente de prévenir Balzac chez le lecteur qui préfèrerait éventuellement discréditer l'œuvre, d'où l'importance du jeu autour du réalisme. Quant au registre pathétique, il éveille le lecteur à la condition des personnages, à ce qu'est leur réalité et il transcende celle- ci. L'œuvre s'impose au lecteur, et non l'inverse. Le réalisme fait donc figure d'ambition littéraire pour l'auteur, mais il influence aussi la lucidité du lecteur, en filigrane, d'autant plus touché qu'il doit tenir le récit pour vrai. [...]
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