Houellebecq économiste, chapitre 2, chapitre 3, Bernard Maris, L’entreprise et la destruction créatrice, L’infantilisme des consommateurs
Frédéric Beigbeder est l'un des personnages du roman de Houellebecq La Carte et le territoire. Il décrit l'écosystème de l'entreprise, lui qui est passé du monde de la communication à celui de la littérature. La publicité ? Un outil pour « faire acheter à ceux qui n'en ont pas les moyens ce dont ils n'ont pas besoin ». La publicité répète, rabâche, on ne peut pas l'éviter, elle nous écrase de ses couleurs et de ses bruits. L'entreprise devient dès lors le royaume de la soumission volontaire et choisie. Le cadre fait son boulot de cadre et il consomme. C'est sa fonction. C'est un chien fidèle. Comme cadre, il est régulièrement humilié par ses supérieurs.
[...] Elle les oblige à être en permanence en mouvement. Elle perpétue l'éphémère, le provisoire, la négation de tout ce qui dure. Tout se détruit, tout disparait et se renouvelle dans un mouvement impitoyable et saccadé. La publicité s'impose à chacun plus fortement que l'impératif kantien (libre volonté et raison pratique). Elle se saisit des émotions et elle exige des hommes la plus stricte obéissance. Elle impose une morale qui remplace celle des chrétiens. La chrétienté, si elle a transformé l'homme en individu isolé face à son Dieu, a au moins préservé des moments de vie familiale, des temps collectifs minimaux, mais réels. [...]
[...] C'est le thème du roman de Houellebecq La Possibilité d'une île. Le rôle de la publicité : imposer un surmoi à la place du surmoi véritable. La publicité viole l'âme. Ses marques imposent un monde où le silence n'a pas sa place. Un monde terrifiant et dur. Un monde qui nous impose d'être en permanence dans le désir, un monde qui nous impose aussi de demeurer soi- même désirable. Un monde qui nous impose de participer à la compétition généralisée. [...]
[...] Ainsi, il peut se perpétuer. Il donnera de nouveaux petits salariés. Le système peut ainsi se perpétuer. Le prolétaire n'est-il pas sur le plan étymologique celui qui n'a que sa progéniture ? Ce qui distingue le maître de l'esclave : le goût du risque. Le maître a les moyens d'en prendre. L'esclave, le prolétaire, le redoute forcément plus : il en va de sa survie. L'incertitude, l'improbable, le risque : c'est le moyen idéal pour maintenir l'ordre et contrôler les masses. [...]
[...] Houellebecq cite la notion de destruction programmée dans son œuvre, évoquant ce thème cher à Schumpeter. Le marché casse les êtres humains, les entreprises, les marchandises, broie même l'argent. Mais cette destruction est salutaire au bout du compte puisqu'elle est la condition d'une nouvelle création. Du mal survient le bien, en somme. Telle est la règle du capitalisme. De la même manière que Marx faisait l'apologie du capitalisme généralisé et mondialisé qui allait à terme amener le communisme sur la planète, Schumpeter estime que la destruction créatrice finira par s'adoucir dans une social-démocratie relative. [...]
[...] Le cadre fait son boulot de cadre et il consomme. C'est sa fonction. C'est un chien fidèle. Comme cadre, il est régulièrement humilié par ses supérieurs. Tantôt lui, tantôt ses collègues. De quoi lui rabattre son caquet. Il faut tenir, faire bonne mine, mais il est bon de souffrir intérieurement, de douter de soi, de dégrader son image de soi. Compétitivité, productivité sont les mamelles de son autoévaluation. Entrer dans l'entreprise, c'est quitter le monde de l'enfance. Devenir un enfant qui ne peut plus pleurer. [...]
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