Victor Hugo est l'acteur et le témoin privilégié de la continuité doublée d'une mutation que connaît la littérature au XIXe siècle, car tout romantique qu'il est, il s'inscrit toujours dans la logique classique, dans la mesure où il est un poète au sens classique du terme : il est en effet à la fois un poète épique, lyrique et dramatique, contrairement à Baudelaire, par exemple, qui est seulement poète lyrique (c'est d'ailleurs avec lui que s'accomplit pleinement l'évolution de la littérature du XIXe siècle).
Cependant, Hugo n'est pas traditionnel pour autant : il s'oppose au classicisme. Hernani est l'emblème de la nouveauté théâtrale et va donner lieu à une bataille entre classiques et romantiques lors de la première le 25 février 1830. Avec Hernani, le romantisme gagne cette bataille, au moins provisoirement.
Le drame romantique est une forme double, qui contient toutes les dualités : elle synthétise le tragique et le comique, le noble et le vulgaire, le haut et le bas, le sublime et le grotesque, le bien et le mal, car l'homme est ce mixte indissociable de tous ces éléments.
[...] A chaque époque on retrouve selon Hugo la tripartition poétique traditionnelle (poésie épique, lyrique, dramatique). Autrement dit, ce système a toujours existé pour Hugo, mais chaque époque a eu sa poésie dominante. Les temps primitifs ont comme poésie dominante la poésie lyrique ; les temps antiques la poésie épique ; les temps modernes la poésie dramatique. Pour illustrer cette dominance à chaque époque, Victor Hugo convoque une œuvre emblématique : la Bible pour les temps primitifs, et tout particulièrement la Genèse (création du monde) ; l'épopée homérique pour les temps antiques (l'Iliade est l'œuvre fondatrice de l'histoire grecque) ; le drame shakespearien pour les temps modernes. [...]
[...] Promouvoir le drame romantique, c'est donc s'opposer au système classique, à son anachronisme, au nom de cette figure centrale chez Hugo qui est la figure de l'homme et de la vie. Il ne s'agit plus de l'éternité des colosses, ni de l'histoire des géants ; le but du drame romantique est de représenter la vie de l'homme. Ces considérations génériques, pour Hugo, sont indissociables des considérations historiques, et sont inséparables aussi d'une conception de l'homme. Quand Hugo se fait poète lyrique, il sait que cela n'implique pas la même chose que lorsqu'il se fait poète épique ou poète dramatique. [...]
[...] Tout aussi artificielle est l'unité de lieu : Hugo ironise sur le vestibule classique où tous les personnages se rencontrent ; il revendique au contraire une diversité des lieux. La seule unité à laquelle il reste fidèle est l'unité d'action (encore que, dans une certaine mesure, il complexifie un peu cette unité). Victor Hugo et l'unité de ton L'unité de ton est l'autre unité fondamentale du système classique, au nom de la séparation stricte des genres. Dans une tragédie, il était inconcevable qu'un noble s'exprimât bassement. [...]
[...] Le problème de la marque extérieure du drame romantique hugolien Dans cette logique de modernisation du théâtre et d'amenuisement du héros, on pouvait s'attendre à une marque extérieure de cette évolution du théâtre hugolien, dans la mesure où la marque extérieure traditionnelle de la noblesse est le vers. On pourrait concevoir, comme chez Shakespeare, l'alliance du vers et de la prose (vers pour personnages nobles, prose pour personnages comiques, par exemple). Mais Hugo ne pratique pas cette alliance. Il aurait pu aller aussi jusqu'à prosaïser complètement le drame, mais il est resté fidèle au vers. Tout en restant fidèle au vers, marque extérieure du système classique, il prosaïse l'alexandrin en en cassant la cadence : le dialogue vient casser le vers en deux, trois morceaux ou plus. [...]
[...] Le traitement de l'unité de ton L'unité de ton n'existe pas, car le drame romantique se veut la synthèse du tragique et du comique, du sublime et du grotesque, du noble et du trivial Dans le système classique, la noblesse est noblesse dans tous les sens du terme (origine et actions), contrairement à ce qu'on voit dans Hernani, où les personnages nobles par le nom, comme Don Carlos, Don Ruy Gomez, ne sont pas nécessairement nobles par la parole et l'action, et où les personnages bas a priori , comme Hernani le bandit, peuvent se comporter de façon plus noble, mettant en œuvre une noblesse de parole et de comportement qui n'est pas en rapport avec le statut social. De la même façon, il y a dans Hernani des scènes qui s'apparentent à des scènes de tragédie et d'autres qui s'apparentent à des scènes de comédie. La toute première scène est par exemple une scène de comédie car elle représente des ressorts de la comédie (le roi dans une armoire), mais à des doses relativement modérées pour ne pas trop choquer. Il peut y avoir également un mélange de comique et de tragique dans une même scène. [...]
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