Daniel Poirion, médiéviste émérite, a écrit à propos de l'œuvre de Guillaume de Lorris: «Le Roman de la Rose raconte sur un mode merveilleux un amour banal. » (Roman de la Rose, Hatier, coll. Connaissance des lettres, 1962, p. 62) Nous ne pouvons accuser cet universitaire de renom d'avoir émis cette opinion sans avoir pesé chacun de ses mots. Cette citation se présente d'abord comme une opposition entre la forme poétique, « le mode merveilleux », et le fond qui est « l'amour banal »
[...] Eros, la pulsion de vie, exprime alors sa fécondité. Mais aussitôt Thanatos survient, sans que le narrateur puisse même identifier ce danger léthal par la fascination : Au fond de la fontaine, en bas, il y avait deux pierres de cristal, que je contemplai avec une grande attention Les deux cristaux si merveilleux ne sont-ils pas les deux yeux d'une mère fascinante, qui capte son enfant et le retient sous son emprise, car son regard omniprésent attire en même temps qu'il terrifie. [...]
[...] Des images poétiques C'est le travail poétique sur l'image qui donne eu Roman de la Rose son mode merveilleux. L'auteur, en effet, utilise certains clichés de la poésie d'amour, en leur donnant une forme concrète et très imagée. Ainsi, l'image de la rose est bien le symbole de la femme aimée, image traditionnelle, mais reprise ici au pied de la lettre, puisque c'est de la rose que le narrateur va s'éprendre. Du merveilleux encore, dans les figures d'amplification et du sublime –hyperboles, anaphores, allégories et prosopopée, rhétorique de l'accumulation, métaphores, et déplacement dans un temps et un lieu différent. [...]
[...] Si le rêveur permet à l'Amour d'entrer dans sa forteresse, les forces de vie et de mort scellées jusque là de façon précaire, pourront alors s'harmoniser, et le bouton de rose tant convoité deviendra accessible. Pourtant, cette fin heureuse n'arrivera jamais, puisque Guillaume de Lorris ne termine pas son poème, mais choisit de l'arrêter avant la fin, au moment où Bel Accueil est emprisonné dans la tour avec la Rose. Les critiques fabulent et supposent qu'une mort prématurée empêcha l'auteur de terminer son œuvre. Cette fin inattendue peut traduire la décision littéraire de Guillaume, qui choisit d'être maître de la coupure et de la séparation, et non d'en devenir la victime. [...]
[...] Or le mythe de Narcisse est, lui aussi, associé à Méduse, dans la mesure où c'est le regard de la fascination qui est dangereux, un regard qui fixe et qui pétrifie, un regard destiné au sexe et que seule l'exhibition du phallus, de la vulve ou du bouton de rose peut dérouter et apaiser. Citons Pascal Quignard : Le mythe est simple. Un chasseur est médusé par un regard dont il ignore qu'il est le sien, qu'il perçoit à la surface d'un ruisseau dans la forêt. [...]
[...] On retrouve aussi les motifs typiques du roman arthurien, avec la fontaine de Narcisse par exemple. D'aucuns s'accordent à dire que l'amour banal ne saurait éveiller l'intérêt, tant il est quelconque. Ce manque d'originalité qui caractérise un amour communément admis, est toujours quelque peu péjoratif, car estimé sans intensité d'existence. A l'opposé, l'amour de type sexuel, intégrant toutes formes de relations clandestines ou de perversions ne peut être taxé de «banal». Boccace, en effet, en écrivant le Décaméron, n'a pas présenté des histoires d'amour banal, puisqu'il a érigé l'immoralité en ultime réponse à la mort, et la transgression comme seule façon de donner sens à la vie. [...]
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