La suppression de la ponctuation : bouleversement de l'oeuvre littéraire et de ses relations avec le lecteur.
L'oeuvre d'Apollinaire se distingue de la plupart de celles de son temps par son originalité propre dès l'ouverture du recueil ; en effet, le lecteur peut être frappé de n'y voir aucune ponctuation. "Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers" peut-on lire dans l'un des poèmes du recueil. On n'y trouve aucune structure organisée en ce qui concerne les strophes : elles apparaissent, mais de façon anarchique, sans que l'on puisse qualifier un poème de sonnet ou de balade. Apollinaire fait preuve d'une liberté dans la stricte lignée de Baudelaire, de Mallarmé et de Rimbaud, mais pousse cette dernière encore plus loin. Il était jusqu'alors la norme que, même dans les recueil poétiques, la ponctuation soit de mise : c'était elle qui permettait certains effets de style tels que le rejet ou l'enjambement. Elle rythmait les poèmes. Elle était une propriété concrète de non seulement de l'oeuvre littéraire, mais également de l'oeuvre poétique, et ce quand bien même des poètes modernes eurent cherché à briser les règles anciennes, parfois qualifiées de rigides, de la poésie (Hugo). Il nous est possible de dire, dès lors, que cette propriété de l'oeuvre littéraire permettait au lecteur d'être quelque peu guidé sur l'interprétation des poèmes à avoir : chez Apollinaire, les propriétés de l'oeuvre littéraire et sa relation avec le lecteur sont bouleversées par ses choix d'écriture. D'une part, il supprime la ponctuation, d'autre part, il pousse la liberté d'écriture encore plus loin que les poètes précédents. Les effets sur le lecteur s'en trouvent transformés : par la suppression de la ponctuation, Apollinaire contribue à modifier la définition de l'oeuvre poétique elle-même, oeuvre dans laquelle les interprétations de la part du lecteur sont désormais démultipliées : le premier recueil du poème, Zone annonce dès le départ les ambiguïtés possibles d'interprétation par cette suppression de la ponctuation (...)
[...] Elle rythmait les poèmes. Elle était une propriété concrète de non seulement de l'œuvre littéraire, mais également de l'œuvre poétique, et ce quand bien même des poètes modernes eurent cherché à briser les règles anciennes, parfois qualifiées de rigides, de la poésie (Hugo). Il nous est possible de dire, dès lors, que cette propriété de l'œuvre littéraire permettait au lecteur d'être quelque peu guidé sur l'interprétation des poèmes à avoir : chez Apollinaire, les propriétés de l'œuvre littéraire et sa relation avec le lecteur sont bouleversées par ses choix d'écriture. [...]
[...] Apollinaire ne confère ainsi pas une liberté totale au lecteur, loin de là. Ce dernier se doit de respecter certains choix poétiques, ici par rapport au rythme : à la différence des autres poètes, Apollinaire ne détermine pas le rythme du poème par la ponctuation (étant inexistante) mais par l'utilisation de mots précis et connotés (ici soudain, rapide, vivace) et qui forment, pour certains, un vers entier. Ils délivrent de fait au lecteur une impression de rapidité qui n'est pas libre à l'interprétation comme peuvent l'être d'autres poèmes à travers le recueil. [...]
[...] Quelle conception possède Apollinaire de la poésie ? Il est intéressant de noter que, dans le Poème lu au mariage d'André Salmon la poésie est pour lui un renouvellement du monde : Ni même on renouvelle le monde en reprenant la Bastille / Je sais que seuls le renouvellent ceux qui sont fondés en poésie Contrairement aux révolutionnaires ou aux hommes politiques, le renouvellement du monde est l'apanage des poètes : François Villon partageait déjà, au XVe siècle, cette conception poétique. [...]
[...] La forêt, les vignes, les fleuves sont tour à tour personnifiés par le poète : le vent lui-même est dit s'exprimer en latin. La présence de tels dialogues théâtraux dans le recueil, qui mettent en scène différents personnages en pleine conversation, est une nouveauté frappante (P.139). Il y a une pluralité, mais qui se fonde dans une certaine unicité révélée par la construction d'une voix poétique générale incarnée par la diversité des voix : il y a une polyphonie à l'œuvre, mais qui s'inscrit dans une identité du recueil où les voix autres que celles du poète se fondent précisément dans cette voix du moi que la poète semble rechercher. [...]
[...] Cette compréhension de l'œuvre dans sa globalité recoupe le fait qu'il existe une unicité de la voix du poète malgré la polyphonie : on se trouve ici face à une situation où l'unité apparente du sujet existe et persiste simultanément dans une multitude de voix apparemment diverses. Plus étonnant encore, c'est même à cette multiplicité que le recueil doit la singularité et l'unicité de son sujet énonciateur. L'éparpillement, la plurivocalité suggèrent donc activement l'impression d'une voix unique (P.138) : si Apollinaire a été fortement influencé par Villon, ne s'en démarque-t-il pas à cet instant précis ? [...]
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