Les mythes sont une source d'inspiration inépuisable pour Laurent Gaudé. Le nom de ce roman en témoigne. Eldorado, c'est la conquête du Nouveau Monde par les Espagnols, la confrontation de civilisations avec en point d'orgue la recherche d'or, plus précisément d'une cité d'or.
Le nom a été repris, notamment par Voltaire dans Candide pour désigner un lieu d'abondance, un endroit où il fait bon vivre, où tout est à profusion. L'ironie voltairienne a été oubliée et Eldorado reste un rêve, incarné par l'Europe notamment pour les populations africaines d'aujourd'hui, pour des hommes et des femmes qui n'hésitent pas à braver des milliers de kilomètres et de multiples dangers pour tenter leur chance, accéder à des territoires où la vie sera plus facile (...)
[...] Il peut aussi exprimer des peines insondables. Mais jamais il n'est abandon. Il est, chez la femme, une dignité. Il peut être incompréhension parfois, mépris pour le nanti qui a trop hésité à agir. Le regard complète ce qui est dit. Il va au-delà même car il porte une appréciation, des valeurs, des rêves parfois. Ne plus voir quelqu'un, c'est le perdre à l'exemple de Jamal pour Soleiman, de la femme pour Salvatore, c'est manquer de cet échange essentiel. Le regard est celui des autres. [...]
[...] Ce regard qui est échange et don de soi culmine lors de la rencontre de Soleiman et de Salvatore, ou plutôt de l'ombre de Massambolo. Ce dernier est le protecteur des immigrants. Il prend des formes humaines diverses, ses ombres, et qui le rencontre a l'assurance, en l'échange d'un objet, de parvenir au bout du voyage. C'est une promesse, une force pour franchir tous les obstacles avec dignité. C'est une part de fantastique, un moment intense sur une route de Ghardaïa. En acceptant d'être l'ombre de Massambolo, Salvatore offre à Soleiman une lumière pour le guider. [...]
[...] Le dégoût de lui le submerge peu à peu. Une lettre de cette femme, la perspective de sa mort, des barques de clandestins abandonnées sur une mer sauvage, la demande d'un rescapé sont autant d'éléments qui le détachent peu à peu de sa vie et l'incite à partir dans ces pays d'où viennent tous ses hommes. Pendant ce temps, Soleiman a quitté le Soudan, a rompu lui aussi avec ses racines, douloureusement, pour rejoindre à son tour l' Eldorado, pour pouvoir peut-être envoyer l'argent des médicaments de son frère malade, pour respecter une promesse, pour avoir lui aussi accès à ce monde où tout est plus doux. [...]
[...] Dans ces conditions difficile, l'espoir parvient toujours à éclore, les personnages sortant plus forts de chacune de leurs épreuves. Pour Soleiman, l'Eldorado est enfin accessible et, même si le lecteur sait qu'il y aura bientôt la nouvelle de la mort de son frère Jamal, qu'il ne reverra jamais plus les siens, que le chemin sera encore semé d'embûche, il n'y a aucun doute qu'il saura s'en sortir. Les personnages principaux de Laurent Gaudé, ceux qui portent l'espoir, ont en commun une volonté inébranlable, à l'exemple de Mattéo qui n'hésite pas à aller aux enfers chercher son fils. [...]
[...] Chacun rêve son Paradis. Ce dernier est symbolisé par l'Europe pour Soleiman, par le sud pour Salvatore, mais il est probable qu'il ne puisse se réaliser dans un territoire particulier, surtout quand la quête est avant tout celle d'un sens à donner à la vie, plus métaphysique que matérielle. L'ancien commandant le comprend rapidement d'autant qu'en tant qu'Européen, il est perçu comme un trafiquant, capable d'œuvrer pour les passeurs de clandestins, ce qui le répugne, ou comme passeur de rêve, pour confirmer l'existence de l'Eldorado, en donner les clés peut-être. [...]
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